Le dîner de Mademoiselle Justine
Comédie en deux actes
Personnages
M. Gaubert, 44 ans.
Mme Gaubert, 32 ans.
Caroline, 8 ans.
Théodore, 10 ans.
Hilaire, domestique, 16 ans.
Sidonie, femme de chambre.
Antonin, domestique étranger.
Jules, domestique renvoyé.
Justine, cuisinière.
M. Guelfe, 50 ans.
Acte I
Une salle à manger.
Scène première
Hilaire, essuyant des assiettes, des tasses, etc. ; Sidonie, étendue dans un fauteuil.
Sidonie. – Tu n’apprendras donc jamais le service, mon pauvre garçon ? Voilà bien une heure que tu rinces, que tu essuies la vaisselle, et tu n’as pas encore fini.
Hilaire. – Je fais pourtant de mon mieux pour avancer mon ouvrage, Mademoiselle Sidonie, mais... mais...
Sidonie. – Mais quoi ? Qu’est-ce que tu veux dire ? Voyons, parle !
Hilaire. – Je n’ose pas, Mam’selle ; j’ai peur de vous fâcher.
Sidonie. – Bon ! Encore peur ! Toujours peur ! Quoi que tu fasses, tu as peur de quelqu’un ou de quelque chose !
Hilaire. – C’est que, Mam’selle, ce que je voulais dire n’est pas agréable pour vous.
Sidonie. – Pour moi ? Ah ! ah ! ah ! Soyez tranquille, Monsieur Hilaire, ce que vous avez à dire ne pourra certainement pas me fâcher. Parle, mon, garçon, parle sans crainte.
Hilaire. – Eh bien ! Mam’selle, c’est que, voyez-vous, si je n’ai pas fini mon ouvrage, ce n’est pas moi qui en suis fautif, c’est bien vous.
Sidonie. – Moi ? en voilà une bonne ! Explique-moi donc cela ; je serais bien aise de pouvoir comprendre la bêtise que tu viens de dire.
Hilaire. – Ce n’est pas une bêtise, Mam’selle, c’est bien une vérité. Madame vous a dit de nettoyer et ranger toute sa belle porcelaine, et que je vous aiderais. Vous n’y avez seulement pas touché ; c’est moi qui ai tout fait. Alors...
Sidonie. – Alors, pour lors, dès lors, tu es un sot et un nigaud. Il fallait faire comme moi : laisser tout cela sans y toucher, épousseter un peu, pour lui donner l’air d’avoir été nettoyé, et l’ouvrage serait fini pour toi comme il l’est pour moi.
Hilaire. – Comment, Mam’selle ! Et les ordres de Madame, donc !
Sidonie. – On en prend ce qui convient et on laisse ce qui gêne. Je te l’ai dit cent fois, tu ne veux pas m’écouter.
Hilaire. – Et vous me le diriez cent autres fois, que je ne vous obéirais pas davantage, Mam’selle. Non, non, il y a quelque chose en moi qui me dit que c’est mal ; que c’est tromper Madame, qui est bonne pour moi comme pour vous.
Sidonie. – Bonne ! Laisse donc ! Elles sont toutes bonnes tant qu’on leur fait leurs quatre volontés ; mais quand on ne leur obéit pas comme des esclaves, ils vous bousculent, ils vous grondent, ils vous font un train ! Je suis bien revenue de tout ça, mon garçon ; et j’en prends à mon aise... Ah ! voici Madame ! je l’entends qui vient.(Sidonie se précipite à la table où Hilaire essuie la vaisselle, saisit une assiette, un torchon, et nettoie d’un air très empressé.)
Scène II
Hilaire, Sidonie, Mme Gaubert
(Elle entre, s’approche de la table, examine les porcelaines.)
Madame Gaubert. – Je croyais trouver la porcelaine nettoyée et rangée avant de sortir, Sidonie. Vous êtes pourtant deux ! Qu’est-ce qui vous a donc retardée ?
Sidonie. – Rien du tout, Madam