: Colette
: Claudine à Paris
: Books on Demand
: 9782322666294
: CLAUDINE
: 1
: CHF 3,00
:
: Historische Romane und Erzählungen
: French
: 174
: Wasserzeichen
: PC/MAC/eReader/Tablet
: ePUB
Claudine à Paris est un roman français de Colette paru en 1901. C'est le tome 2 de la série des Claudine. Il est la suite de Claudine à l'école et sera suivi de Claudine en ménage. Résumé: Claudine et son père quittent le village de Montigny pour s'installer à Paris. Claudine se remet d'une maladie. Quand elle reprend des forces, elle décrit dans son journal les exploits de sa chatte Fanchette, ses découvertes de la capitale et ses nouvelles rencontres.... Bonne lecture.

Colette (1873-1954), née Sidonie-Gabrielle Colette est l'une des plus célèbres romancières de littérature française. Elle a connu une entrée en particulière en littérature en tant que prête-plume de son mari Willy qui l'engage à écrire ses souvenirs d'école sous le pseudonyme"Willy", Colette étant inconnue dans le monde littéraire de l'époque : Claudine à l'école, bientôt suivi d'une série de Claudine , Claudine à Paris, Claudine en ménage, Claudine s'en va. Après leur séparation en 1906, Colette écrira et signera de son nom la fin de la série des Claudine avec La Retraite sentimentale. Elle est considérée, comme Voltaire ou Victor Hugo avant elle, comme l'un des plus grands écrivains français, symbolisant son époque et la littérature. Deuxième femme à être élue membre de l'académie Goncourt en 1945, elle en devient la présidente entre 1949 et 1954. Elle est la première femme en France à recevoir des funérailles nationales.

1 Aujourd’hui, je recommence à tenir mon journal, forcément interrompu pendant ma maladie, ma grosse maladie, — car je crois vraiment que j’ai été très malade !

Je ne me sens pas encore trop solide à présent, mais la période de fièvre et de grand désespoir m’a l’air passée. Bien sûr, je ne conçois pas que des gens vivent à Paris pour leur plaisir, sans qu’on les y force, non, mais je commence à comprendre qu’on puisse s’intéresser à ce qui se passe dans ces grandes boîtes à six étages.

Il va falloir, pour l’honneur de mes cahiers, que je raconte pourquoi je me trouve à Paris, pourquoi j’ai quitté Montigny, l’École si chère et si fantaisiste où Mlle Sergent, insoucieuse des qu’en dira-t-on, continue à chérir sa petite Aimée pendant que les élèves font les quatre cents coups, pourquoi papa a quitté ses limaces, tout ça, tout ça !… Je serai bien fatiguée quand j’aurai fini ! Parce que, vous savez, je suis plus maigre que l’année dernière, et un peu plus longue ; malgré mes dix-sept ans, échus depuis avanthier, c’est tout juste si j’en parais seize. Voyons que je me regarde dans la glace. Oh, oui !

Menton pointu, tu es gentil, mais n’exagère pas, je t’en supplie, ta pointe. Yeux noisette, vous persévérez à être noisette, et je ne saurais vous en blâmer ; mais ne vous reculez pas sous mes sourcils avec cet excès de modestie. Ma bouche, vous êtes toujours ma bouche, mais si blême, que je ne résiste pas à frotter sur ces lèvres courtes et pâlottes les pétales arrachés au géranium rouge de la fenêtre. (Ça fait, d’ailleurs, un sale ton violacé que je mange tout de suite.) Ô vous, mes pauvres oreilles ! Petites oreilles blanches et anémiques, je vous cache sous les cheveux en boucles, et je vous regarde de temps en temps à la dérobée, et je vous pince pour vous faire rougir. Mais ce sont mes cheveux, surtout ! Je ne peux pas y toucher sans avoir envie de pleurer… On me les a coupés, coupés sous l’oreille, mes copeaux châtain roussi, mes beaux copeaux bien roulés ! Pardi, les dix centimètres qui m’en restent font tout ce qu’ils peuvent, et bouclent, et gonflent, et se dépêcheront de grandir, mais je suis triste tous les matins, quand je fais involontairement le geste de relever ma toison, avant de me savonner le cou…

Papa à la belle barbe, je t’en veux presque autant qu’à moimême. On n’a pas idée d’un père comme celui-là ! Écoutez plutôt.

Son grand traité sur la Malacologie du Fresnois presque terminé, papa envoya une grosse partie de son manuscrit chez l’éditeur Masson, à Paris, et fut dévoré dès ce jour d’une épouvantable fièvre d’impatience. Comment ! Ses « placards » corrigés, expédiés boulevard Saint-Germain le matin (8 heures de chemin de fer) n’étaient pas de retour à Montigny le soir même ? Ah ! le facteur Doussine en entendit de raides : « Sale bonapartiste de facteur qui ne m’apporte pas d’épreuves ! Il est cocu, il ne l’a pas volé ! » Et les typographes, ah, lala ! Les menaces de scalp à ces faiseurs de « coquilles » scandaleuses, les anathèmes sur ce « gibier de Sodome » ronflaient toute la journée. Fanchette, ma belle chatte, qui est une personne bien, levait des sourcils indignés. Novembre était pluvieux, et les limaces, délaissées, crevaient l’une après l’autre. Si bien qu’un soir papa, une main dans sa barbe tricolore, me déclara : « Mon bouquin ne marche pas du tout ; les imprimeurs se fichent de moi ; le plus raisonnable (sic) serait d’aller nous installer à Paris. » Cette proposition me bouleversa. Tant de simplicité, unie à tant de démence, m’exaltèrent et je ne demandai que huit jours pour réfléchir. « Dépêche-toi, ajouta papa, j’ai quelqu’un pour notre maison, Machin veut la louer. » Ô la duplicité des pères les plus ingénus ! Celui-ci avait déjà tout arrangé en sous-main, et je n’avais pas pressenti la menace de ce départ !

Deux jours après, à l’École, où, sur le conseil de Mademoiselle, je songeais vaguement à préparer mon brevet supérieur, la grande Anaïs s’affirma plus teigne encore que d’habitude ; je n’y tins plus et je lui dis en haussant les épaules : « Va, va, ma vieille, tu ne m’élugeras2 plus longtemps, je vais habiter Paris dans un mois. » La stupéfaction qu’elle n’eut pas le temps de déguiser me jeta dans une extrême joie. Elle courut à Luce : « Luce ! Tu vas perdre ta grande amie ! Ma chère, tu pleureras du sang quand Claudine partira pour Paris. Vite, coupe-toi une mèche de cheveux, échangez vos derniers serments, vous n’avez que juste le temps ! » Luce, médusée, écarta ses doigts en feuille de palmier, ouvrit tout grands ses yeux verts et paresseux, et, sans pudeur, fondit en larmes bruyantes. Elle m’agaçait. « Par’ié oui, je m’en vais ! Et je ne vous regretterai guère, toutes ! »

À la maison, décidée, je dis à papa le « oui » solennel. Il peigna sa barbe avec satisfaction et prononça :

— Pradeyron est déjà en train de nous chercher un appartement. Où ? Je n’en sais rien. Pourvu que j’aie de la place pour mes bouquins, je me fous du quartier. Et toi ?

— Moi aussi, je m’en… ça m’est égal.

Je n’en savais rien du tout, en réalité. Comment voulez-vous qu’une Claudine, qui n’a jamais quitté la grande maison et le cher jardin de Montigny, sache ce qu’il lui faut à Paris, et quel quartier on doit choisir ? Fanchette non plus n’en sait rien. Mais je devins agitée, et, comme dans toutes les grandes circonstances de ma vie, je me mis à errer pendant que papa soudainement pratique, — non, je vais trop loin, — soudainement actif, s’occupait, à grand fracas, des emballages.

J’aimai mieux, pour cent raisons, fuir dans les bois et ne point écouter les plaintes rageuses de Mélie.

Mélie est blonde, paresseuse et fanée. Elle a été fort jolie. Elle fait la cuisine, m’apporte de l’eau et soustrait les fruits de notre jardin, pour les donner à de vagues « connaissances ». Mais papa assure qu’elle m’a nourrie, jadis, avec un lait « superbe » et qu’elle continue à m’aimer bien. Elle chante beaucoup, elle garde en sa mémoire un recueil varié de chansons grivoises, voire obscènes, dont j’ai retenu un certain nombre. (Et on dit que je ne cultive pas les arts d’agrément !) Il y en a une très jolie :

Il a bu cinq ou six coups

Sans vouloir reprendre haleine, Trou la la…

Et comm’ c’était de son goû

Il n’épargnait pas sa peine,

Trou la la… etc. etc.

Mélie choye avec tendresse mes défauts et mes vertus. Elle constate avec exaltation que je suis « gente », que j’ai « un beau corps » et conclut : « C’est dommage que t’ayes pas un galant. » Ce besoin ingénu et désintéressé de susciter et de satisfaire d’amoureux desseins, Mélie l’étend sur toute la nature. Au printemps, quand Fanchette miaule, roucoule et se traîne sur le dos dans les allées, Mélie appelle complaisamment les matous, et les attire au moyen d’assiettes remplies de viande crue. Puis elle contemple, attendrie, les idylles qui en résultent, et, debout dans le jardin, en tablier sale, elle laisse « attacher » le… derrière de veau ou le lièvre en salmis, songeuse, en soupesant dans ses paumes ses seins sans corset, d’un geste fréquent qui a le don de m’agacer. Malgré moi, ça me dégoûte vaguement de songer que je les ai tétés.

Tout de même, si je n’étais qu’une petite niaise et non une fille bien sage, Mélie, obligeante, ferait tout le nécessaire pour que je faute. Mais je ris seulement d’elle, quand elle me parle d’un amoureux, — ah ! non, par exemple, — et je la bourre, et je lui dis : « Va donc porter ça à Anaïs, tu seras mieux reçue qu’ici. »

Mélie a juré, sur le sang de sa mère, qu’elle ne viendrait pas à Paris. Je lui ai répondu : « Je...