: Colette Yver
: Princesses de science
: epubli
: 9783818771096
: 1
: CHF 1.30
:
: Erzählende Literatur
: French
: 338
: kein Kopierschutz
: PC/MAC/eReader/Tablet
: ePUB
Le docteur Fernand Guéméné, s'étant levé selon son habitude à sept heures, passa sous la douche avec sa ponctualité coutumière, s'habilla, sonna pour le thé qu'on lui monta dans sa chambre, et se mit à déjeuner près de la fenêtre ouverte. Il habitait, à la pointe de l'île Saint-Louis, un minuscule hôtel où il venait de s'établir comme médecin de quartier. Par les hautes fenêtres du XVIIIe siècle qui s'étageaient deux par deux dans l'étroite façade, il voyait, presque au pied de la maison, couler la Seine sous le rideau touffu des peupliers d'Italie, frissonnants et somptueux, qui bordaient la rive.

Colette Yver, pseudonyme d'Antoinette de Bergevin, née le 28 juillet 1874 à Segré et morte le 17 mars 1953 à Rouen, est une écrivaine catholique française .

 

II


Il y eut d’abord, dans le chagrin du jeune homme, une rancune et de l’amertume capiteuse qui l’aidèrent à vivre. D’ailleurs il était fort occupé. Ses matinées se passaient en visites dans cette rue Saint-Louis-en-l’Ile, si populeuse et malsaine, regorgeant d’angines, de laryngites, de catarrhes et de rhumatismes. Parfois il était appelé aussi par des gens riches, dans ces hôtels silencieux et discrets, aux façades vétustes, aux balcons Louis XV, le long de ces quais ombragés qui font à l’île Saint-Louis une ceinture si archaïque et si noble. Ce jeune docteur à l’air intelligent et réfléchi avait vite plu. L’après-midi, ses consultations, dont la plaque de cuivre apposée à sa porte indiquait la clôture pour trois heures, se poursuivaient jusqu’à quatre ou cinq heures du soir. Il recevait des femmes du peuple, ou des commerçantes du quartier qui, la consultation donnée, allongeaient trois pièces de vingt sous sur la bordure de son bureau d’acajou. Lorsque le salon d’attente était vide, il lui fallait sortir de nouveau, après avoir relevé sur son carnet la liste de ses malades. On le demandait souvent sur la rive droite, quai des Célestins, et jusque dans le quartier de la Bastille.

Il rentrait tard, en fiacre, exténué, dînant quelquefois à une heure avancée de la nuit. C’était alors que l’image de Thérèse Herlinge reprenait possession de lui : il avait trop longtemps imaginé sa présence dans cette maison, avec une exaltation de célibataire amoureux et rêveur ; il ne concevait plus ce logis sans elle. Un soir, à la lueur douteuse du gaz de l’escalier dont le domestique avait baissé la flamme, il crut apercevoir sa forme mince et son chignon noir sur le palier du premier étage. Aussitôt un éblouissement le saisit, et il gagna sa chambre avec des frissons et un tremblement nerveux qui lui firent croire à un accès de fièvre. La nuit, il se réveillait brusquement, s’imaginant avoir entendu la voix de mademoiselle Herlinge ; et une sueur froide le couvrait. Quand il s’endormait, il chassait la pensée de la jeune fille, mais il y était ramené par la sensation d’une main de femme qui se serait posée sur sa nuque ; et il croyait reconnaître jusqu’au froid d’une bague d’or qu’elle portait à l’annulaire droit.

Bientôt il ne fut plus capable de s’absorber dans son métier, et il devint la proie d’une illusion ardente et troublante pendant ses consultations : la porte du salon d’attente, contigu à son cabinet, ne s’ouvrait pas pour quelque nouvelle arrivante sans qu’il crût reconnaître le pas de mademoiselle Herlinge. L’idée que celle-ci, revenant sur sa décision