: Sim Kessel
: Pendu à Auschwitz
: Les Éditions du Crieur Public
: 9783948325350
: 1
: CHF 9.00
:
: Romanhafte Biographien
: French
: 230
: Wasserzeichen
: PC/MAC/eReader/Tablet
: ePUB
Sim Kessel, jeune Français, juif et boxeur professionnel, a écrit en 1969 son autobiographie sur les années 1940-45, décrivant comment il a survécu contre toute probabilité à Auschwitz et à d'autres camps de concentration et d'extermination du régime nazi. En 1940, immédiatement après sa démobilisation, il a rejoint en tant que soldat le mouvement de résistance français contre l'occupation allemande de la France, la Résistance. Deux ans plus tard, il fut arrêté par la Gestapo. Malgré la torture, il n'avoua rien de ses activités clandestines. En tant que juif, il fut transféré à Drancy, près de Paris, où il fut emprisonné et déporté par la suite au camp de concentration d'Auschwitz. Dans les conditions épouvantables des camps d'extermination nazis, sous le numéro 130 665, il déchargeait des matériaux de construction à Birkenau et travaillait dans les mines de Jawarzno. Complètement épuisé et malade, une simple erreur bureaucratique le sauva une première fois de la chambre à gaz. En 1943, la Gestapo du camp a de nouveau tenté de lui extorquer des aveux sur ses activités de résistance. Il a été torturé, on lui a arraché un doigt. Il fut sauvé une deuxième fois de la chambre à gaz, cette fois par un SS qui était également boxeur. Paris était libéré depuis trois mois lorsqu'il tenta de s'échapper. L'évasion échoua, il fut pendu devant 25.000 déportés. La corde s'est rompue. Cela signifiait l'assassinat par balle dans la nuque. Mais le bourreau qui devait l'abattre était également un boxeur et l'a sauvé in extremis. Le 18 janvier 1945, Auschwitz a été évacué. S'ensuivit la marche de la mort, par étapes quotidiennes de trente à quarante kilomètres, pendant treize jours, vers le camp de concentration de Mauthausen, puis vers le camp de Gusen 2. Au matin du 7 mai 1945, les déportés se retrouvèrent soudain seuls dans le camp abandonné, les Allemands ayant fui devant l'armée américaine.

En décembre 1944, j'ai été pendu à Auschwitz. Une constellation exceptionnelle de circonstances particulières m'a sauvé la vie. Pourquoi ai-je attendu 25 ans pour publier ce livre ? J'ai mis longtemps à me réadapter à une vie normale. Trois ans de torture quotidienne ne laissent pas seulement des cicatrices physiques. J'ai lutté contre l'insupportable tourment du souvenir, chaque page que j'ai écrite, je l'ai payée avec des nuits pleines de cauchemars. Paris, en 1969 Sim Kessel L'autobiographie a été honorée en 1970 avec le prix"Prix littéraire de la Résistance".

AVANT-PROPOS


En décembre 1944, j’ai été pendu à Auschwitz.

Le concours de circonstances qui m’a sauvé la vie est exceptionnel, peut-être même unique. Car s’il est arrivé parfois que la corde ait cassé ou se soit dénouée, le sursis accordé au condamné n’a jamais été que de quelques heures. Les S.S. ne pardonnaient pas.

Quiconque a porté le hayon rayé des bagnards d’Auschwitz, était un condamné à mort. Chaque rescapé est un miraculé. Tout au plus peut-on dire que les derniers venus ont surmonté plus aisément l’épreuve, dès lors que la durée de leur séjour n’a pas excédé leur capacité de résistance. C’était pour eux une chance insigne que d’avoir été pris dans les derniers mois de la guerre. Mais ceux qui ont totalisé comme moi vingt-trois mois de bagne sans compter les prisons antérieures, sont extrêmement rares.

La durée moyenne du séjour à Auschwitz ou dans les camps annexes ne dépassait pas trois mois. Auschwitz n’a pas été le seul instrument du génocide. Les autres camps y ont contribué. Toutefois, aucun n’a une telle cadence.

Au-delà de cette période moyenne de trois mois, suffisante pour vider un homme de toutes ses réserves, la survie n’était plus qu’un hasard. Elle résultait d’une succession de coups de dés favorables, chacun assurant un répit de quelques jours ou de quelques semaines.

J’ai été sauvé ainsi cent fois, tantôt échappant à un coup mortel, tantôt bénéficiant d’un secours inespéré. Rayés du monde, nous ne pouvions compter sur aucune des sécurités que crée la loi ou l’industrie des hommes.

C’est pourquoi on ne saurait tirer vanité d’être sorti vivant d’Auschwitz. Il n’y a pas eu, dans cet enfer, survie des meilleurs. L’intelligence, le courage, le savoir, la vitalité ou la passion de vivre ne pouvaient rien changer. À peine peut-on soutenir que les plus habiles ou les moins scrupuleux arrivaient quelquefois à exploiter la conjoncture. La misère commune nivelait tout, effaçait les valeurs, brisait les volontés. Même pour ceux qui bénéficiaient de « planques », obtenues le plus souvent par rencontre et presque toujours temporaires, le destin restait suspendu à la mauvaise humeur d’un soldat ou à la folie meurtrière d’un Kapo.

Je n’ai pas écrit le récit de mon aventure concentrationnaire pour en tirer avantage. Si j’avais l’ambition de me mettre en valeur, j’évoquerais plus volontiers – et plus valablement – les deux années passées avant mon arrestation, dans la résistance parisienne. Ces deux années sont pourtant celles que ma mémoire retrouve avec le plus de complaisance. Elles suffisent à justifier une vie d’homme.

Les camps étaient soumis à une réglementation commune et ce qui se passait dans chacun se répétait dans tous les autres. Seule, variait l’ampleur de la destruction.

Cependant, je crois utile de témoigner. Vingt-cinq ans après la libération des bagnards d’Auschwitz, le procès de leurs bourreaux n’est pas terminé. On a vu, ces temps derniers encore, des juges en acquitter quelques-uns, en condamner quelques autres avec mansuétude. L’enquête, sur chacun d’eux, avait demandé des années.

On avait rassemblé méthodiquement les preuves de leurs crimes. Tous les survivants d’Auschwitz savent qu’il ne saurait y avoir, pour les S.S. qui les gardaient, ni exception dans la culpabilité, ni degré dans l’infamie, quand même on accepterait sans réserve l’excuse, constamment invoquée, de l’obligation d’obéir aux ordres.

Je crois utile que cela soit dit, comme je crois utile que le souvenir des martyrs soit évoqué. Ce souvenir est en voie de s’éteindre. Vingt-cinq ans après, je découvre que des jeunes n’ont jamais entendu parler des camps. Je découvre aussi que beaucoup n’y croient pas. On prétend volontiers que les faits ont été grossis, que c’est un travers commun à tous les prisonniers que d’exagérer les souffrances qu’ils ont endurées, qu’au surplus les S.S. n’ont fait qu’appliquer les lois de la guerre, et que ce qui s’est vu en Allemagne s’est vu partout et de tout temps.

Ces propos, que d’autres déportés ont entendus comme moi ou qu’ils ont lus dans certaines publications, ont de quoi les rendre enragés. Pourtant ces survivants, qui pourraient protester, ne protestent guère. Loin de montrer la trace de leurs plaies, ils n’ont que le souci de n’en plus souffrir.

Encore, les ignorants et les sceptiques ne sont-ils pas les plus révoltants. Il y a ceux qui prêchent le silence volontaire, ceux qui protestent, se plaignent qu’on trouble leur repos, qu’on leur fait respirer l’odeur de la mort, ceux qui expliquent gravement qu’il ne convient pas de remuer un passé assurément déplorable, mais définitivement enterré, ceux qui démontrent que cette exhumation est à la fois funeste et déplacée. Funeste, parce que l’humanité ne gagne rien à ranimer les rancunes et les haines. Déplacée, parce que les Allemands ont fait preuve de leur repentir, et qu’ils se sont engagés dans la voie de la réconciliation.

Je n’ai jamais confondu l’Allemagne avec le nazisme, ni admis que le peuple allemand fût criminel par essence. Dès lors que je condamne le racisme, je serais mal venu de prétendre que les Allemands sont une race à part. Du moment que je refuse le principe barbare de la responsabilité collective, je m’interdis de faire porter à tous le crime de quelques-uns. J’ai connu des Allemands qui étaient bons et humains et j’ai connu des Français qui étaient des tueurs. Il n’y a pas de races ni de nations qui soient spécifiquement perverses. Il y a seulement des hommes qui font de la barbarie un idéal, et de la violence une vertu. Que ces hommes aient régné en Allemagne plutôt qu’ailleurs n’est qu’un des hasards de l’Histoire. Il y a dans d’autres pays des tentatives du même ordre, rien ne démontre ou ne garantit qu’elles ne se renouvelleront pas.

Pour tout homme normalement informé et de bonne foi, il est évident que le principe de la discrimination raciale est scientifiquement absurde ; que la croyance à la hiérarchie des races est insoutenable ; que la destruction systématique de millions de gens réputés inférieurs ; Juifs, Russes, Polonais ou Tziganes, est un crime monstrueux. Ce crime a pourtant pu s’accomplir au vingtième siècle. Cette philosophie insensée a fait des adeptes même parmi les hommes de science. Ce plan d’extermination méthodique a été conçu et appliqué par des hommes civilisés. Rien ne permet d’affirmer que cette idéologie a disparu, ni même qu’elle est en voie de disparaître. Bien au contraire, l’hitlérisme a laissé sa marque dans le monde. Il continue à imprégner les consciences qu’il a contaminées. Pour que le poison s’élimine, il faudra du temps et des efforts.

Les années ont passé sans que je trouve l’occasion et la force de rassembler mes souvenirs. Il m’a fallu d’abord me réadapter à la vie. Trois années de torture quotidienne ne laissent pas seulement des traces physiques. Il faut attendre que la paix de l’esprit se retrouve, que le jugement s’éclaire, et que la volonté se reprenne. Longtemps j’ai fait comme tous les rescapés, j’ai lutté contre l’obsession du souvenir. Je sais par expérience que cette obsession est insupportable. Elle interdit le repos, elle peuple les nuits de cauchemars. Lorsque deux anciens déportés se rencontrent, ils évitent d’un commun accord, de remuer le passé.

Une autre difficulté qui m’a longtemps arrêté, c’est que, pour un tel récit, on ne peut compter que sur sa mémoire. Aucun déporté d’Auschwitz n’a pu prendre et conserver des notes. Il était interdit d’écrire. Du reste, à supposer qu’on en ait eu les moyens, on n’en avait ni le temps, ni le goût. J’ai donc reconstitué, daté et objectivé des événements que j’ai vécus, mais que je n’avais pas alors le loisir de penser.

On ne pourra me reprocher de ne pas être véridique. Ou de ne pas être sincère....