: Comtesse de Ségur
: La fortune de Gaspard
: Books on Demand
: 9782322170654
: 1
: CHF 4.00
:
: Kinderbücher bis 11 Jahre
: French
: 290
: Wasserzeichen
: PC/MAC/eReader/Tablet
: ePUB
G spard aime l'école, il aime lire, écrire, compter. Mais son père, lui, s'en fiche bien de l'école: quand à la ferme il y a du travail pour tous les bras, c'est tant pis pour la lecture et l'écriture. Et d'abord, est-ce qu'elle met du pain dans la huche, cette école?

Sophie Rostopchine, comtesse de Ségur, est née le 19 juillet 1799 à Saint-Pétersbourg et est morte le 9 février 1874 à Paris. C'est une femme de lettres françaises d'origine russe.

II – Le travail des champs


 

À deux heures, la cloche sonna pour reprendre l’école ; les enfants cessèrent leurs jeux et coururent se placer près de la porte ; quand le maître ouvrit, la tête de l’école se mit à entrer en bon ordre, deux par deux ;   chacun   alla   prendre   sa   place.   La   queue   se   bousculait,   se poussait : c’était Lucas qui causait ce désordre par son empressement à rentrer en classe. Il en avait poussé un second, lequel poussait un troisième. Un coup de coude amena un coup d’épaule, qui fut payé d’un coup de pied. La moitié n’était pas entrée, qu’on criait et qu’on se battait à la queue.

Le maître d’école avait fait des « chut ! » et des « silence ! » sans pouvoir   se   faire   obéir ;   il   eut   alors   recours   à   son   argument accoutumé,   la   gaule ;   elle   retomba   vivement   et   fortement   sur   le groupe en désordre ; Lucas en reçut plus que les autres, car il se faisait remarquer par des cris et des mouvements plus prononcés ; au lieu de reculer il avançait toujours, si bien qu’il se trouva seul en avant, seul en vue et seul en face du maître d’école irrité.

LE MAÎTRE D’ÉCOLE. – Mauvais gamin ! La gaule ne te suffit pas ! Il te faut mieux que ça ! Voilà, mon garçon, tu vas être servi à souhait.

Pan ! pan ! v’lan et v’lan ! Lucas reçut en une minute plus de coups qu’il n’en pouvait compter ; il eut les cheveux et les oreilles tirés et il arriva sur son banc par l’effet d’un coup de pied qui le lança comme une balle.

La surprise le rendit muet ; il était resté la bouche ouverte et les yeux écarquillés, quand ses camarades le rejoignirent, les uns riant de sa mésaventure, les autres se frottant les membres, froissés par la gaule.

Le   calme   était   rétabli,   le   maître   d’école   se   retrouvait   sur   son estrade ; chacun ouvrait son livre et tirait ses cahiers ; la distribution du   travail   fut   promptement   faite ;   les   petits   retournèrent   à   leur tableau ; la leçon se passa à merveille. Lucas, encore troublé de tout ce qu’il avait reçu, fut docile, sérieux et appliqué ; aussi eut-il des compliments, en place des coups du matin. Quand il sortit de l’école avec son frère, Henri les suivit : « Je vais faire route avec vous, dit-il, puisque nous demeurons dans le même hameau. »

LUCAS.   – Oui,   viens   avec   nous,   Henri,   nous   cueillerons   des merises tout en marchant.

HENRI.   – Pas   moi ;   j’aime   mieux   cueillir   des   fleurs   de MILLEPERTUIS ; c’est la saison.

LUCAS. – Pour quoi faire ? Ce n’est pas très joli.

HENRI.   – Si  fait !   Je  trouve   très   jolies  ces   grappes   de   petites fleurs jaunes. Mais ce n’est pas pour cela que je les cueille, c’est pour les mettre dans de l’huile.

LUCAS. – Pour quoi faire, dans l’huile ? C’est la gaspiller.

HENRI. – Pour ça, non, ça ne la perd pas ; quand les fleurs ont bien trempé au soleil pendant un mois, l’huile devient toute rouge ; on en met sur des coupures, des brûlures, des plaies, et ça guérit tout de suite.

GASPARD. – Tiens, comment sais-tu ça, toi ?

HENRI.   – Je   l’ai   lu   dans   un   journal   que   m’a   prêté   le   maître d’école.

GASPARD. – Comment s’appelle-t-il, ce journal ?

HENRI. – La Revue de la Presse. Il est amusant tout plein ; il y a un   tas   d’histoires,   et   puis   des   remèdes   comme   cette   huile   de MILLEPERTUIS.

GASPARD. – Je demanderai au maître d’école qu’il me le prête.

LUCAS. – Ce sera amusant ! Si tu vas te mettre à lire maintenant en dehors de l’école, je serai seul pour travailler et m’amuser.

GASPARD. – Tu n’as qu’à lire aussi : tu ne t’ennuieras pas alors.

LUCAS.   – Si   fait,   je   m’ennuierai ;   c’est   assommant   de   lire ; j’aime bien mieux faner ou bêcher le jardin, ou clore les brèches, ou garder les vaches. Et toi, si tu passes ton temps à lire, mon père te  frottera les oreilles, tu verras ça.

GASPARD. – Non, parce que mon père sait que je veux devenir savant pour faire mon chemin.

GASPARD. – Je te l’ai déjà dit,  je veux  faire comme  le petit maigre, M. Féréor, qui était garçon cloutier, et qui a des millions, et des   usines   partout,   et   des   terres   partout,   et   des   châteaux,   et   qui commande à des milliers d’ouvriers, et qui est heureux comme il n’est pas possible davantage.

LUCAS. – Heureux ! C’est donc pour ça qu’il crie toujours, qu’il est après ses ouvriers comme un dogue après les bestiaux ; qu’il court sans arrêter, comme le Juif errant ; qu’il ne se donne de repos ni fêtes ni dimanches.

GASPARD. – Je ne dis pas, mais il a tout de même des millions, et la croix d’honneur, et des châteaux, et des terres à ne savoir qu’en faire ; et tout le monde le salue et le craint.

LUCAS. – Oui, on le craint, comme tu dis, mais on ne l’aime pas ; on le salue et on rit de lui ; et toi, tout le premier, tu l’appelles vieux parchemin, vieil avare, sac à argent, et je ne sais quoi encore.

GASPARD. – Parce qu’il n’est pas bon, et qu’il ne donne pas aux pauvres,   et   qu’il   est   dur   pour   les   ouvriers ;   mais   je   ne   ferai   pas comme lui, tu verras ça.

LUCAS, riant. – Je ne verrai rien du tout, parce que tu resteras ce que tu es : ouvrier, aidant mon père à faire aller la ferme.

GASPARD. – Non, je ne veux pas travailler à la terre ; je te l’ai déjà dit, je n’y travaillerai pas.

UNE VOIX. – Eh ! vous autres, arrivez donc ! On a besoin de vous pour ramasser le trèfle. Gaspard   et   Lucas  aperçurent   leur   père   qui   les   attendait   sur  le chemin, et qui paraissait mécontent de leur longue absence. Lucas courut au-devant de lui.

« Nous voici, mon père : nous avons été un peu lents à venir, parce que nous nous disputions, Gaspard et moi. »

LE   PÈRE,   durement.   – Pourquoi   vous   disputiez-vous   au   lieu d’avancer ? Vous savez