: Jean-Paul Jimenez
: La petite fabrique du littéraire Recueil de conférences sur la littérature
: Books on Demand
: 9782322517572
: 1
: CHF 6.70
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: Historische Romane und Erzählungen
: French
: 102
: Wasserzeichen
: PC/MAC/eReader/Tablet
: ePUB
L'auteur, ancien professeur de lettres modernes dans le secondaire, présente dans ce recueil trois conférences grand public données dans le cadre d'associations culturelles et d'universités populaires des Pyrénées-Orientales. I - La portée de la littérature dans la culture générale. II - Le temps dans la littérature. III- Les mythes en littérature. Cet opuscule a pour modeste ambition d'inviter à la lecture des grands classiques universels. Puisse-t-il aussi ouvrir des pistes de réfexion et de recherches pour les lycéens et les jeunes étudiants attirés par les humanités et qui se destinent à des carrières littéraires.

Jean-Paul Jimenez a enseigné le français en collèges et lycées des Pyrénées-Orientales après une carrière de Coopérant en Afrique subsaharienne où il a été chargé de former des instituteurs. Actuellement à la retraite, il se consacre à la lecture et à l'écriture, assouvisant aussi sa passion du cinéma et du théâtre et perfectionnant sa connaissance des langues romanes.

Première partie :


En quoi consiste la culture littéraire et comment s' acquiert-elle ?

Essayons d'explorer et au besoin de circonscrire cet immense continent qu'est la« littérature », continent aux contours parfois flous et instables, parfois même océan insondable. C'est au professeur de lettres qu’incombe la redoutable charge d'enseigner la littérature :« littera » en latin, c'est la lettre, si bien que la littérature évoque le plus souvent des écrits, des textes. On étudiait autrefois en classe ces textes sous la forme de morceaux choisis, c'étaient souvent des extraits de grandes œuvres et de grands auteurs. Aujourd'hui, pour désigner la littérature, on dit aussi « la chose écrite ».

Au sens large du terme donc, tout ce qui est écrit est littérature. Le support traditionnel de la littérature, c'est le livre mais il ne faut pas oublier qu'il a longtemps existé dans certaines sociétés dites traditionnelles et sans écriture des littératures qui se transmettaient de bouche à oreille : contes, récits de guerre, épopées, légendes, mythes, fables. Cette littérature était souvent récitée et parfois déclamée par des aèdes, des bardes, des griots en Afrique; en Europe, au Moyen-Age, des trouvères, des troubadours, des ménestrels, toutes sortes de conteurs attitrés qui s'accompagnaient la plupart du temps d'un instrument de musique, le plus connu étant la lyre. D'où le nom depoésie lyrique donné à une forme de poésie qui exalte les sentiments personnels. D'emblée, je soulignerai l'importance de la voix et de la musique, par conséquent du rythme en littérature ainsi que cette propension à mettre en exergue les sentiments humains dont le plus célébré est sans nul doute l'amour.

Il est tout de même troublant qu'en français le terme« récit » soit un anagramme du mot« écrit ». Des récits, écrits ou non, l'homme s'en est toujours nourri, comme si cela avait constitué pour lui ou pour son groupe un besoin essentiel, vital. Et pas seulement pour enchanter son enfance et lui servir de tendre berceuse au coucher. Un psychanalyste, Bruno Bettelheim, a consacré tout un ouvrage aux bienfaits des contes pour enfants. Mais il faut croire que les adultes aussi sont friands de récits ou d'écrits. L'homme a toujours eu besoin qu'on lui raconte des histoires. Et cela continue, si l'on en juge par le succès qu'ont les romans et les nouvelles de nos jours.

Environ 2600 ans avant Jésus-Christ, pour remonter au Déluge, c'est l'épopée de Gilgamesh en Mésopotamie.« L'épopée, disait Victor Hugo,c'est l'histoire écoutée aux portes de la légende. » Ce sont précisément des mythes fondateurs, des légendes sacrées qui remontent à la nuit des temps qui forment les premiers récits oraux puis les premières écritures. Les plus célèbres de ces écritures seront consignées dans des livres qui constituerontla Bible. Celle-ci en grec signifie : les livres.

En Inde, bien avant la Bible, croyances et connaissances se transmettaient de bouche de brahmane à bouche de brahmane, c'étaientles Véda qui ont fait l'objet d'une multiplicité d'écrits. N'oublions pas, tout près de nous, mais cela remonte à 6 siècles avant J.C,« L'Illiade et l'Odyssée » d'Homère que les enfants de la Grèce antique devaient apprendre par cœur et réciter comme le font encore certains enfants en Afrique pour le Coran. Par ailleurs, les livres saints tels que la Torah, la Bible et le Coran ont nourri et nourrissent encore de nombreux écrivains. Toute l’œuvre de Victor Hugo – et pas uniquement sa poésie – est imprégnée de références bibliques.

Tous les récits anciens souvent ésotériques et ténébreux nous révèlent le mystère du monde, le mystère de l'origine de l'homme et de sa nature. Ils témoignent de son angoisse existentielle face au destin et surtout face à la Mort. Ces textes sont traversés par des forces occultes, et aussi habités par des êtres étranges situés quelque part entre Ciel et Terre : des dieux, des demi-dieux, mi-dieux mi-hommes, des héros mais aussi des bêtes, des êtres hybrides – sphinx, griffon, chimère – moitié homme-moitié bête, des déesses protectrices, des divinités venues de tous les horizons, de toutes sortes et de toutes formes, des esprits supérieurs et des prophètes de tout acabit. On reconnaît làles mythologies dont les plus connues pour nous sont la grecque et la romaine. Plus tard, des auteurs à l'imagination féconde viendront ajouter d'autres sortes de créatures : monstres, démons, esprits maléfiques qui prendront souvent la forme du spectre ou du vampire. Il n'empêche que tous ces êtres sacrés ou profanes viennent peupler notre imaginaire.

Le terme defable doit nous arrêter un instant. Il vient du latin« fabula », le mensonge. La littérature dès ses origines a partie liée avec quelque chose d'irréel, de faux. Dans l'esprit des gens, il est vrai, la littérature s'oppose bien souvent à la réalité. La littérature serait donc liée au rêve, à l'imagination, à l'affabulation. Elle est du domaine de l'invention, de la fiction, elle est le fruit de l'imaginaire. Et c'est bien souvent ainsi qu'on la perçoit : une sorte de mensonge, quelque chose qui tient de la contrefaçon, et pour tout dire quelque chose qu'il ne faudrait surtout pas prendre au sérieux. C'est d'ailleurs dans ce sens que l'on entend cette phrase maintes fois entendue et répétée :« Et tout le reste est littérature ». Il s'agit pourtant d'un vers d'un poète appliqué et soucieux de son art, Verlaine.

Toutefois la tradition orale, aussi riche fût-elle, a connu très vite ses limites. On connaît le vieil adage :« Les écrits restent, les paroles s'envolent ». Avec les premières formes d'écriture apparaissent les premiers supports de textes, les premiers livres qui étaient des rouleaux de papyrus, puis deparchemin,volumen, codex, manuscrits des moines copistes au Moyen-Age avant le formidable essor de l'imprimerie à la fin du XVe siècle. En Afrique, où la tradition orale s'est maintenue longtemps jusqu'à la première moitié du XXe siècle, les écrivains se sont hâtés, avant les indépendances, de transcrire les fables et tous les récits que se transmettaient les griots. Un écrivain malien, Ahmadou Hampaté Ba, a prononcé cette phrase devenue célèbre en 1960 à l'UNESCO :« En Afrique, un vieillard qui meurt, c'est une bibliothèque qui brûle. »

Depuis plusieurs siècles maintenant, ce sont les écrivains qui font la littérature, ceux que l'on appelle des hommes de lettres plutôt que des littérateurs. Quelqu'un qui a des lettres, c'est quelqu'un qui a beaucoup lu, qui a beaucoup fréquenté textes et auteurs, et qui a retiré beaucoup de savoirs de ses lectures, c'est quelqu'un de lettré et de cultivé et si son savoir est particulièrement étendu, on dit que c'est un érudit. Pendant longtemps, on a pensé qu'avoir de la culture, c'était avoir de la littérature. Celle-ci était rattachée au beau langage, ce que l'on appelaitles belles lettres, ce que Voltaire nommait« les ouvrages de goût » qui étaient censés former l'honnête homme, un homme capable d'avoir des lumières sur tout, une sorte de généraliste du savoir en somme, nourri des œuvres de son temps mais aussi de celles de l'antiquité gréco-latine. Sa culture était caractérisée par une recherche de l'équilibre et de la modération, d'une certaine mesure sachant que tout excès est nuisible. Comme le disait Montaigne mieux valait« une tête bien faite plutôt qu'une tête bien pleine. »

La littérature est liée à la lettre, donc à l'écriture et naturellement elle est fabriquée à partir d'une langue; elle constitue une forme particulière de cette langue, on pourrait même dire qu'elle est souvent une langue dans la langue. Pour faire simple, on dira qu'elle constitue unlangage particulier. Tout le monde sent bien, en effet, que lorsque...