: Pascal Drampe
: Incriminable or
: Books on Demand
: 9782322467976
: 1
: CHF 4.90
:
: Krimis, Thriller, Spionage
: French
: 160
: Wasserzeichen
: PC/MAC/eReader/Tablet
: ePUB
A partir de certains faits réels, le commandant Blanco vous fait découvrir, via ce polar, les terribles fléaux liés à l'orpaillage illégal en Guyane. L'exploitation clandestine de l'or vous plonge dans la cruauté humaine, la destruction de cette forêt amazonienne et de ses populations autochtones. Un récit à vous couper le souffle...

Pascal DRAMPE, né en 1964 dans le Nord, commandant de police retraité, écrit ici son 5ème polar dans la collection Blanco. Il est également auteur de deux témoignages:"l'incr yable destin de Blanco" et"l'enveloppe jaune", parus chez BoD.

1- Immersion en forêt amazonienne.


Quelques semaines auparavant…

Ce 1er avril 2018, dans un bureau parisien feutré de la D.A.P.N. (*), une décision se prenait en catimini quant à l’avenir du commandant de police Blanco, en fonction à la Sûreté départementale des Alpes-Maritimes. Le directeur de séance imposa son point de vue : « il vaut mieux lui donner satisfaction pour éviter du grabuge à Nice. Vous savez de quoi il est capable, ce flic ; s’il reste là-bas, nul doute que le sang coulera. De surcroît, on l’envoie au bout du monde, à Saint-Laurent-du-Maroni, ainsi tout le monde y gagnera en tranquillité. Avisez-le, rédigez son arrêté sur le champ. Je considère que l’affaire est classée ».

Ce veuf endurci, quinquagénaire, homme de parole, valida l’affectation qui arrangeait l’ensemble des protagonistes. Et, surtout, cette décision libérait ses proches du travail de sape des détracteurs régionaux enfin débarrassés de ce dérangeant incorruptible.

Avec pour tout bagage un sac de sport contenant deux chemises pour autant de jeans et de paires de chaussures, sans-le-sou, Blanco embarquait à destination de Cayenne, le cœur lourd du difficile choix de laisser en toute impunité les malfaisants, pour protéger les siens. Il était reçu, neuf heures plus tard, par le directeur de la Police Aux Frontières de la Guyane, qui, le regard fuyant et l’attitude peu élégante, complètement avachi dans son grand fauteuil en cuir, annonça sans vergogne la couleur.

(*) : Direction de l’Administration de la Police Nationale.

---Vous m’avez été imposé par Paris, sans compter que vous aurez la lourde tâche de remplacer l’excellent Commandant de Saint-Laurent-du-Maroni qui a fait un travail remarquable durant quatre ans. J’espère que…

Blanco, encore à cran après huit longues années à annihiler les entourloupes dans le Comté de Nice, coupa net la parole au directeur qu’il jugea bien trop suffisant.

---Toutes mes condoléances, Monsieur. Mais sachez qu’il n’y a plus de bons ou de mauvais flics. Aujourd’hui, seules les statistiques sont bonnes ou mauvaises, du moins pour ce qu’on veut bien leur faire dire. Alors, donnez-moi les chiffres de votre pépite de Commandant et considérez que mes résultats N+1 seront supérieurs. Sur ce, s’il n’y a d’autres éléments plus pertinents, je vais disposer pour prendre la fameuse route de Saint-Laurent.

Pire entrée en matière parut difficile à égaler. Blanco s’attendait tout de même à un accueil plus apaisant, particulièrement après ce long et fastidieux combat gagné contre la mouvance niçoise. Nul doute que le message de Paname était défavorable à l’empêcheur de tourner en rond ; le rouleau compresseur ne s’arrête jamais dans cette Institution. Bref, et depuis bien longtemps, ce flic invétéré en avait pris son parti. Comme à son habitude, il allait mener, seul, sa barque au bord du fleuve du Maroni, sans négliger de surveiller ses arrières.

Parvenu au bout du monde à la tombée de la nuit, via une route monotone, quasi déserte et dépourvue d’éclairage, tracée au milieu de cette interminable forêt dense, Blanco ne put observer l’extravagante végétation et le paysage sauvage saint-laurentais qu’au lever du jour, lorsqu’il prit le volant de son véhicule de service pour rejoindre ses nouveaux locaux. Célèbre pour son bagne, cette deuxième ville de la Guyane, bordée du fleuve Maroni et implantée en forêt amazonienne, apparut tel un îlot au cœur d’un écrin de verdure du poumon de la Terre. Passant devant leCamp de la Transportation, le commandant ne put s’empêcher de repenser aux propos tenus par deuxcourageux responsables syndicaux de la caserne Auvare à Nice, soucieux de se loger du côté des restants, malgré les origines nordistes de l’un et gersoises de l’autre : « on n’a pas réussi à le mettre en prison, mais il part casser des pierres à Cayenne ». Le bagne de Nice ayant fermé ses portes au milieu du XIXe siècle, c’est vers celui de la Guyane qu’ils dirent l’envoyer. Ce traitre souvenir raviva subrepticement sa colère persistante. Un instant, il songea qu’à l’époque, on faisait d’un voleur de pain un bagnard ; Blanco, lui, était relégué pour avoir privé de quelques bouchées indues certains malfaisants du cru. Il revint dans le présent, lorsqu’il traversa cette commune poussiéreuse, digne d’un décor duFar West. La diversité ethnique des passants confirma la richesse culturelle : Asiatiques, Amérindiens, Créoles, Sud-Américains, parsemés de quelques Caucasiens aux allures de fonctionnaires insouciants. Il fallut qu’il pénètre dans le fameux quartier de la Charbonnière pour y découvrir les Bushinengués, appelés communément les noirs marron, issus des grands mouvements de marronnage, les esclaves qui, jadis, fuyaient la propriété de leur maître.

Blanco perdit soudainement ses repères au centre de nulle part, plongé dans une autre époque. Une passagère de l’avion l’avait pourtant prévenu : « à la Charbo, vous allez subir un énorme choc culturel dont vous vous souviendrez à jamais ». C’était très loin du compte, d’ailleurs le commandant, littéralement chamboulé par l’œuvre artistique, dut s’arrêter au bord du fleuve. Plus d’une cinquantaine de très jeunes femmes et hommes, accompagnés de leurs enfants, s’affairaient nus dans le Maroni, au milieu d’un ballet incessant de pirogues motorisées véhiculant passagers et marchandises entre le débarcadère français et celui en vis-à-vis d’Albina, la ville frontalière du Surinam. Le plus naturellement du monde, certains déféquaient, pendant que d’autres se toilettaient, se lavaient les dents ou nettoyaient la vaisselle et le linge ; dans une ambiance joviale teintée du sranantongo, langage communément appelé le taki-taki, un mixte d’argots néerlandais, portugais, africains, anglais, créoles et autres, selon les origines claniques aluku, ndjuka, paramaka ou saramaka. Cet inattendu bouleversement, ajouté au soleil de plomb qui s’abattait sur ce petit coin de planète, malgré l’heure matinale, recouvrit de sueur le corps de Blanco. Il ne sut quoi penser, s’interrogeant sur les raisons de sa présence dans cet endroit hors du temps. Lui qui flânait, il y a quelques heures encore, sur la célébrissime Promenade des Anglais, où il avait navigué en eaux troubles durant huit années, trouverait-il, dans les eaux boueuses et saumâtres du Maroni, une nouvelle clarté d’esprit ? Quitter le théâtre du superficiel pour retrouver les valeurs fondamentales, c’est sans doute ce dont le commandant avait le plus besoin à cet instant.

Il s’épongea comme il le put, dans cette moiteur ambiante où le linge ne sèche jamais, longea le bord du fleuve sur trois cents mètres pour faire face à l’enceinte de son nouveau service, dont il prenait le commandement quadriennal. La façade des bâtiments était recouverte d’une couche de moisissure verdâtre ; de grosses flaques d’eau stagnaient dans la cour intérieure, dans l’indifférence totale des effectifs accommodés à ce cadre de travail dégradé.A priori, rien d’encourageant, si ce n’est le sourire affiché par son sympathique nouvel adjoint, le lieutenant Fred, arborant sa tenue d’apparat.

---Je vous souhaite la bienvenue chez vous, Chef !

---Merci, Fred. Mais on va commencer par se tutoyer.

Ce qui ravit le jeune officier ; la glace fut immédiatement brisée, malgré le rigoureux savonnage de planche du directeur. Pas étonné, le commandant briefa aussitôt son nouveau protégé. Aussi vif que l’éclair, Fred comprit que les salades niçoises étaient le corollaire de manigances de quelques cols blancs régionaux, dérangés par la droiture et l’obstination du flic. Malgré les preuves tangibles de ces manipulations, le doyen des juges du tribunal de grande instance de Nice n’avait toujours pas prononcé le non-lieu. Blanco n'eut pas à insister davantage auprès de son nouveau bras droit ; sa réputation de bosseur intègre ayant précédé son arrivée, via des circuits moins opaques que ceux des hautes sphères....