: * Cicéron, Marcus Tullius Cicero
: Dialogues sur l'éloquence: De oratore, Brutus, Orator l'art de la rhétorique et du parler en public dans l'Antiquité
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: 9782322430796
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Dialogues sur l'éloquence: De oratore, Brutus, Orator est une oeuvre écrite par Cicéron. L'éloquence est pour Cicéron l'expression authentique de l'intelligence humaine. Elle présupposerait une certaine relation entre le fond et la forme : être éloquent requiert de la culture et de l'intelligence, c'est-à-dire une certaine compréhension des problèmes humains...

Cicéron, homme d'État romain et brillant orateur est né le 3 janvier 106 avant J.-C. à Arpinum en Italie et est assassiné le 7 décembre 43 avant J.-C. à Formies. Il est à la fois un avocat, un philosophe, un rhéteur et un écrivain latin

LIVRE SECOND.


L–C’était dans notre jeunesse, mon frère, si vous vous en souvenez, une opinion généralement répandue, que Crassus avait pour toute instruction celle qu’on reçoit au premier âge, et qu’Antoine en était complètement dépourvu; beaucoup de personnes même sans la partager, mais afin de modérer notre ardeur pour l’étude, se plaisaient à nous confirmer dans cette idée, de manière à nous persuader que si, en dépit de leur ignorance, les deux orateurs dont je viens de parler n’en avaient pas moins acquis une extrême habileté et une admirable éloquence, nous nous donnions une peine tout-à-fait inutile, et que notre père, cet homme si sage et si bon, prenait pour nous faire instruire des soins bien superflus. Comme des enfants que nous étions, nous combattions, cette croyance par des exemples domestiques. Nous citions notre père, C. Aculéon, notre allié, et C. Cicéron, notre oncle. En effet, Aculéon, qui avait épousé notre tante maternelle, et pour qui Crassus eut toujours une affection particulière, C. Cicéron, qui mourut en Cilicie, où il était allé avec Antoine, nous parlaient souvent, ainsi que notre père, des études et des connaissances de Crassus; et comme on enseignait aux fils d’Aculéon, nos cousins, et à nous des choses qui n’étaient pas sans intérêt, que de plus il aimait à causer avec nos maîtres, nous avons pu remarquer, cette observation n’était pas au-dessus de notre âge, qu’il parlait le grec comme s’il n’eût jamais connu d’autre langue, et que dans ses entretiens avec nos maîtres il leur adressait des questions, ou leur faisait des objections, de manière à prouver qu’aucun sujet ne lui était nouveau ou étranger. Pour ce qui est d’Antoine, outre que nous avons souvent entendu répéter à notre oncle, homme fort éclairé, qu’il aimait à converser avec les savants les plus distingués de Rhodes et d’Athènes, j’ai eu moi-même occasion, dans ma première jeunesse, autant que la timidité de l’âge me le permettait, de lui adresser de nombreuses questions. Or, vous ne serez pas surpris, mon frère, de ce que j’écris là aujourd’hui: car même à cette époque, après avoir eu avec lui de fréquentes conversations et sur divers sujets, je vous disais qu’il me semblait profondément instruit dans tous les arts dont je pouvais porter quelque jugement, mais l’un et l’autre s’étaient fait un système. Crassus tenait à ce qu’on dît de lui, non pas qu’il manquait d’instruction, mais qu’il la dédaignait, cherchant à faire prévaloir en tout genre le génie de nos Romains sur celui des Grecs. Pour Antoine, il était persuadé que ses discours produiraient plus d’impression sur le peuple, s’il avait de lui cette opinion qu’il n’avait jamais rien appris: de sorte que tous les deux espéraient donner à leur parole plus d’autorité, l’un en paraissant mépriser les Grecs, et l’autre ne pas même les connaître.–

» Ce n’est pas ici le lieu d’examiner s’ils ont eu raison; mais ce qui importe en ce moment, et rentre dans le sujet que nous nous sommes proposé, est de prouver que jamais homme ne s’est distingué, ne s’est montré supérieur dans l’éloquence sans en avoir étudié les règles, sans avoir possédé une instruction universelle.

II.–» En effet, la plupart des autres arts peuvent jusqu’à un certain point se soutenir pareux-mêmes; mais l’art de bien dire, qui consiste à connaître le sujet, à le traiter avec habileté, avec élégance, n’a pas de limites précises qu’on puisse lui assigner. Celui qui se prétend orateur doit être capable de discourir avec succès sur tout ce qui peut donner lieu à une discussion parmi les hommes, ou s’avouer indigne de ce titre. Je conviens, il est vrai, qu’à Rome et dans la Grèce, qui a toujours excellé dans cet art, beaucoup d’orateurs se sont fait une réputation de savoir et d’éloquence sans posséder ces connaissances universelles; mais je soutiens qu’à moins de réunir toutes les lumières que supposent l’habileté et la puissance de parole qu’on admirait dans Antoine et Crassus, jamais personne ne parviendra à égaler leur éloquence. Quant aux raisons qui m’ont porté à écrire l’entretien qu’ils eurent ensemble autrefois sur cette matière, la première a été de détruire cette ancienne opinion, que l’un avait peu d’instruction et que l’autre n’en avait aucune; la seconde de mettre en lumière ce que d’aussi grands orateurs avaient dit d’admirable sur l’éloquence, si toutefois je suis capable de saisir et de reproduire leur pensée; la troisième enfin de préserver, autant qu’il est en moi, de l’oubli et de l’obscurité leur gloire qui commence à vieillir. Que si, en effet, leurs propres écrits eussent pu nous les faire connaître, peut-être que je me serais dispensé d’entreprendre ce travail; mais comme il ne nous reste de l’un qu’un seul ouvrage, et encore de sa jeunesse, et que l’autre n’a jamais rien écrit, j’ai cru devoir à des hommes doués d’un si beau génie de conserver leur mémoire, qui vit encore parmi nous, et de la rendre, si je puis, immortelle; et ce qui doit donner toute confiance à mon œuvre est que je ne parle point de l’éloquence de Serw. Galba ou de Caius Carbon, que je pourrais décrire à ma fantaisie sans crainte d’être réfuté par des souvenirs contemporains, mais que, publiant cet écrit, je m’adresse à des hommes qui ont souvent entendu les deux orateurs dont je parle, en sorte que le témoignage de ceux qui ont vécu avec eux me servira de garant auprès de ceux qui ne les ont pas connus.

III.–» Je ne viens pas ici non plus, mon cher et excellent frère, vous fatiguer d’un de ces traités de rhétorique que vous trouvez si dépourvus d’agrément. Personne, en effet, ne l’emporte sur vous pour la finesse et l’élégance de l’élocution; mais, soit par raison, comme vous le dites souvent, soit retenu par cette mauvaise honte, par cette timidité naturelle dont s’accuse Isocrate lui-même, ce père de l’éloquence, soit, comme vous le dites parfois en plaisantant, qu’il y a assez d’un orateur dans une famille, et peut-être aussi dans une ville, vous avez toujours évité de parler en public. Je ne crois pas cependant que vous confondiez cet écrit parmi les ouvrages de ces rhéteurs, dont vous critiquez avec tant de raison la sécheresse: rien ne me semble, en effet, dans cet entretien de Crassus et d’Antoine, avoir été omis de ce que peuvent nous apprendre un génie pénétrant, un travail opiniâtre, un vaste savoir, une longue expérience; vous n’aurez aucune peine à le reconnaître, vous qui avez voulu remonter par vous-même aux principes, à la théorie de l’éloquence, n’exigeant de moi que ce qu’enseigne la pratique. Mais laissons de côté cet avant propos, et afin de terminer plus promptement la tâche difficile que nous nous sommes imposée, revenons à l’entretien et à la discussion que nous devons rapporter.»

Le lendemain de la conversation dont nous avons parlé plus haut, vers la seconde heure du jour, lorsque Catulus était encore au lit, Sulpirius assis à son chevet, et qu’Antoine se promenait avec Cotta sous le portique, on annonça tout-à-coup le vieux Catulus et C. Julius, son frère. A cette nouvelle, Crassus, étonné, s’empressa de se lever. Tout le monde fut également surpris, et donna à leur arrivée les motifs les plus graves. Or, après avoir échangé entre eux, suivant leur habitude, les salutations les plus amicales: «Qui donc vous amène? leur dit Crassus; y a-t il quelque chose de nouveau?–Rien assurément, répondit Catulus; ne savez-vous pas qu’on célèbre les jeux publics? Mais dussiez-vous traiter notre démarche d’inconvenante ou d’importune, je vous dirai que César, étant venu hier soir me trouver à ma campagne de Tusculum, m’apprit qu’il avait rencontré Scévola comme il sortait d’ici, qu’il lui avait paru encore émerveillé de ce qu’il avait entendu, et lui avait raconté comme quoi, vous Crassus, que, malgré toutes mes instances, je n’ai pu jamais engager dans une discussion, vous veniez d’en avoir une...