: Lise Bourdin
: Mémoires d'une femme libre née en 1925
: Books on Demand
: 9782322447039
: 1
: CHF 4.90
:
: Romanhafte Biographien
: French
: 220
: Wasserzeichen
: PC/MAC/eReader/Tablet
: ePUB
En 1925, lorsque je suis née, les automobiles étaient peu nombreuses et se démarraient à la manivelle. Le cinéma était encore muet et les femmes n'avaient pas le droit de vote ni celui d'avoir un compte en banque sans l'autorisation de leur mari. Celles qui vivaient leur vie de manière indépendante étaient rares, et en dehors du mariage leur existence sociale était très limitée. J'ai eu la chance d'avoir le"don de la beauté", et comme l'a dit un jour un grand homme que j'ai connu, la beauté a été pour moi un passeport qui m'a ouvert bien des portes. Pourtant, en tant que femme, il m'a fallu constamment faire preuve d'obstination et de volonté pour préserver ma liberté et suivre le chemin dont j'ai décidé chaque pas moi-même.

Lise Bourdin est née en 1925 à Néris-les-Bains dans l'Allier. Elle a été modèle et actrice, au théâtre et au cinéma. Elle vit aujourd'hui seule et indépendante, à 96 ans dans sa maison de Labastide d'Armagnac, dans le Gers.

1- Une enfance à Vichy


Au début de l’automne 2019, j’ai lu un article dans leFigaro qui m’a interpellée. C’était un article sur Vichy faisant part de nouvelles recherches et études qui ont vu le jour ces dernières années. Il y était question d’un sentiment d’injustice vécu par beaucoup de Vichyssois parce que le nom de leur ville reste encore pour la plupart des gens associé au régime du Maréchal Pétain. Lorsque l’on entend « Vichy », on pense encore « régime de Vichy », et si aujourd’hui, 80 ans après, la plupart d’entre nous ne pensent plus à la moustache du Maréchal en entendant le nom de Vichy, l’évocation de la ville reste pour beaucoup synonyme de collaboration. C’est bien évidemment quelque chose de difficile à vivre pour ses habitants, et la commune fait tout son possible pour redonner à la ville d’eau une autre connotation.

Car les Vichyssois ont été comme l’ensemble des Français durant l’Occupation des gens divers et si, bien sûr, tous ne s’illustrèrent pas dans des actes de bravoure, ils n’étaient pour la plupart « ni des héros ni des salauds ». On sait peu en revanche, que d’autres ont participé activement à la Résistance, tout en ayant travaillé officiellement au sein du gouvernement dit « de Vichy. »

En 2016, un centre d’étude a été créé : le CIERV, centre international d’étude et de recherches sur Vichy qui s’est emparé de ce sujet, et je m’en réjouis.

En ce qui me concerne, Vichy reste associé à tout autre chose puisque j’y ai passé presque toute mon enfance. J’ai grandi au rez-de-chaussée d’un immeuble que mon grand-père, Gilbert Bourdin, avait fait construire, rue Couturier. Mon grand-père était également propriétaire d’un grand hôtel dans le centre de Vichy, l’hôtel du Globe qu’il avait fait équiper de tout le confort moderne de l’époque et qui était en outre, doté d’un grand restaurant gastronomique. Au début des années trente, tandis qu’il approchait les soixante-dix ans, il fit appel à mon père pour reprendre la gestion de son hôtel. Nous nous sommes installés à Vichy en 1931. J’avais 5 ans.

L’hôtel du Globe à Vichy, rue de Paris, dont mon père devint directeur à partir de 1931

En 1935, alors que je n’avais pas encore 10 ans, mon père quitta ma mère enceinte de leur cinquième enfant, Jean, mon dernier frère. Avec ma mère, nous traversâmes alors une longue période difficile, puisque nous étions certes bien logés, mais quasiment dépourvus de revenus.

Malgré ces difficultés matérielles, ma mère ne négligea jamais notre éducation. Elle venait d’un milieu distingué et grandbourgeois où les bonnes manières, la tenue et l’éducation occupaient une place primordiale. Roland, mon frère aîné et moi-même, avons acquis grâce à elle, une façon d’être au monde, des manières raffinées qui nous permirent d’entrer en contact avec les notables de la ville. Roland était un jeune homme charmant, il plaisait naturellement aux femmes et savait s’attirer les sympathies. Aussi, nous fûmes reçus, lui, et moi grâce à lui, dans les familles des ambassadeurs qui étaient installés tout près de chez nous jusqu’en 1944.

C’est de cette manière, probablement dans un bal ou un cocktail qui eut lieu chez Alberto Aguero, le chargé d’affaires du Venezuela, que je fis la connaissance de mon premier fiancé, Gilbert. J’avais à peine 16 ans, je fréquentais encore le lycée. Gilbert était alors un jeune homme de 25 ans, il était juriste et travaillait au ministère de la justice.

Avec Gilbert à Saint-Raphaël, en août 1946

Dans les premiers temps de la guerre, j’avais participé en tant que « guide » (équivalent des scouts chez les filles) à des missions d’aides humanitaires. Le concours hippique de Vichy avait été transformé en vaste lieu d’accueil pour tous les réfugiés du nord du pays qui avaient fui l’arrivée des Allemands après la défaite. Nous leur préparions des repas, et chaque jour une grande distribution était organisée. Je n’oublierai jamais l’état de ces pauvres gens : il s’agissait en grande partie de personnes assez pauvres, issues du monde paysan qui étaient parties avec leurs meubles empilés sur des charrettes…

Si les années de guerre et d’occupation furent difficiles, la période de la Libération fut, quand à elle, très pénible. Vichy fut libérée, comme Paris en août 1944. J’ai peu de souvenirs précis de cette période, mais j’en garde une impression de grande incertitude et d’angoisse. Je fus bien sûr très soulagée d’apprendre que les Allemands avaient été mis dehors, malgré mon jeune âge, j’avais pris tout cela très au sérieux et j’avais souffert comme beaucoup du froid et de la faim.

L’arrivée des FFI (les Forces françaises de l’intérieur) provoqua un grand bouleversement et de nombreuses remises en question. Ils entrèrent dans les ministères et les administrations et arrêtèrent... à peu près tout le monde. L’ensemble des fonctionnaires furent envoyés au concours hippique de Vichy qui avait été transformé, non plus en lieu d’accueil, mais en prison provisoire. De grandes tentes avaient été installées et tout le monde avait été parqué là, dans un grand camp au milieu de l’hippodrome. Gilbert qui travaillait au ministère de la justice fut arrêté comme les autres et passa plus de deux mois enfermé, le temps que son cas fut jugé.

Ce fut un grand choc pour moi, j’étais très amoureuse de Gilbert et son arrestation me plongea dans une grande angoisse. Nous ignorions alors totalement ce qui pouvait se passer. Heureusement, nous avions la possibilité de faire passer des affaires et des provisions aux prisonniers. Il y avait la queue chaque semaine devant l’hippodrome et chacun attendait son tour afin de transmettre à ceux qui étaient enfermés là, du linge propre et de la nourriture. Un agent prenait nos paquets et nous rendait les affaires sales de la semaine précédente. Il était bien sûr impossible de voir les prisonniers mais cela permettait malgré tout, de garder un lien avec eux.

Enfin, un non-lieu fut prononcé, Gilbert fut libéré, son cas n’ayant pas été jugé problématique. Cependant, il dû reprendre sa carrière de juriste au plus bas échelon, ce qui ne l’empêcha pas de devenir par la suite l’un des plus grands magistrats de France.

Cette période difficile n’a pas été vécue par tout le monde de la même façon.

Lorsque j’étais enfant, ma mère fréquentait régulièrement l’épouse du greffier du tribunal de Vichy, Madame Mounier. Elle avait une petite fille qui s’appelait Nicole. Nous avions le même âge, cinq ans, et avec mon frère Roland qui en avait alors huit, nous devînmes très amis. Nicole qui a grandi comme nous à Vichy, est restée une relation très proche pour nous, durant toute notre vie. Bien des années après, au cours d’une conversation dans laquelle nous revenions sur nos années de jeunesse, elle me dit une chose qui me laissa sans voix : « en somme, mes plus belles années ont été celles de la guerre » ! J’étais éberluée, je ne pouvais pas imaginer être heureuse durant une telle période d’atrocités, tandis que je savais tant de gens dans le malheur. Mais Nicole avait ce caractère gentiment égoïste des enfants uniques et choyés par leurs parents, et elle pouvait complètement faire abstraction du contexte, oublier la guerre, les arrestations, et ne s’émouvoir que de ses années de jeunesse et de ses premiers flirts !

Lorsque Gilbert fut libéré du concours hippique, nous fîmes ensemble une excursion qui me bouleversa. Avant de s’installer gérant de l’hôtel du Globe à Vichy, mon père avait été propriétaire et directeur d’un ravissant petit hôtel à Néris-lesbains, où j’ai passé les cinq premières années de ma vie. Nérisles-bains est une petite cité...