: Comtesse de Ségur
: Après la pluie, le beau temps
: Books on Demand
: 9782322185924
: 1
: CHF 4.10
:
: Hauptwerk vor 1945
: French
: 221
: Wasserzeichen
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: ePUB
Pauvre Geneviève! Sa triste enfance d'orpheline est couleur de la pluie... Entre son oncle injuste qui ne l'aime pas et son méchant cousin qui se plaît à la martyriser, la malheureuse va de chagrin en désespoir. Mais patience, Geneviève! Ton cou-rage tôt ou tard sera récompensé, et dans ton ciel maussade brillera le soleil. Car après la pluie, dit-on, vient le beau temps...

Sophie Rostopchine, comtesse de Ségur, est née le 19 juillet 1799 à Saint-Pétersbourg et est morte le 9 février 1874 à Paris. C'est une femme de lettres françaises d'origine russe.

IV – La bonne se plaint de Georges


M. Dormère ne parla pas à Geneviève de ce qui s’était passé le matin ; il fut avec elle froid et sévère, comme toujours ; avec Georges il fut au contraire plus affectueux que d’habitude. Après avoir fait une   petite   promenade   dans   le   potager   et   la   basse­cour,   il   dit   à Georges d’aller jouer avec sa cousine.

Georges,   qui   craignait   les   reproches   que   pouvaient   lui   faire Geneviève et sa bonne, demanda à son père de rester avec lui.

« Tu es bien aimable, mon ami, de préférer ma société à celle de ta cousine, mais j’ai à travailler, et je veux être seul », répondit M. Dormère en l’embrassant.

Georges   alla   donc,   quoique   avec   répugnance,   rejoindre Geneviève. Elle lisait et n’interrompit pas sa lecture ; la bonne ne lui dit rien non plus, elle continua à travailler.

Georges s’assit et bâilla. Quelques instants après, il bâilla encore avec bruit et poussa un profond soupir. Enfin il se décida à parler.

« Tu   n’es   guère   aimable   aujourd’hui »,   dit-­il   à   Geneviève.   Il n’obtint aucune réponse ; elle lisait toujours.

GEORGES. – Tu es donc décidée à rester muette ?

GENEVIÈVE. – Très décidée.

GEORGES. – Et pourquoi cela ?

GENEVIÈVE. – Pour être moins exposée à tes méchancetés.

GEORGES. – Quelles méchancetés t’ai-­je faites ?

GENEVIÈVE. – Je n’ai pas besoin de t’apprendre ce que tu sais aussi bien que moi.

GEORGES. – Je sais que papa n’a pas voulu t’emmener parce que tu étais sale.

GENEVIÈVE. – Et pourquoi étais-­je sale ?

GEORGES. – Parce que tu n’as pas eu l’esprit de te débarbouiller avant de descendre.

GENEVIÈVE. – Et qui est-­ce qui m’a barbouillée ?

GEORGES. – Ce n’est pas moi, toujours.

GENEVIÈVE, sautant de dessus sa chaise. – Pas toi ! pas toi ! Et tu oses le dire devant ma bonne, qui a vu que tu m’avais poursuivie pour me forcer à désobéir à mon oncle.

GEORGES. – Je ne t’ai pas forcée à désobéir ; j’ai voulu te faire manger ces fraises qui étaient excellentes ; ta bouche était ouverte et j’y ai mis les fraises ; tu as craché comme une sotte et tu t’es salie : c’est ta faute.

GENEVIÈVE, indignée. – Tais-­toi, tu sais que tu mens ; tu m’as assez fait de mal aujourd’hui, laisse-­moi tranquille. Je ne veux pas jouer   avec   toi   parce   que   tu   trouves   toujours   moyen   de   me   faire gronder.

GEORGES. – Moi ! par exemple ! Je ne dis jamais rien ; c’est papa qui te gronde, parce que tu trouves toujours moyen de faire des sottises.

LA BONNE. – Georges, je suis fâchée pour toi de tout ce que tu as dit à ma pauvre Geneviève depuis que tu es entré. Tu sais très bien qu’un mot de toi ce matin aurait justifié ta cousine ; tu as eu assez peu de cœur pour ne pas le dire ; tu es parti tranquillement, gaiement, laissant ta pauvre cousine, que tu savais innocente, sangloter dans le vestibule pour la punition injuste que tu lui as seul attirée.

GEORGES. – La punition n’est pas grande, c’était très ennuyeux là-­bas ; Louis et Hélène gémissaient sans cesse après Geneviève ; ils ne jouaient pas avec moi ; ils sont allés se promener avec papa, Mlle Primerose et d’autres personnes qui  étaient là, et moi je me suis ennuyé horriblement.

LA BONNE. – C’est bien fait, monsieur ; c’est le bon Dieu qui vous a puni, et c’est ce qui arrive toujours aux méchants.

GEORGES. – Je dirai à papa comme vous me traitez, et il vous grondera joliment toutes les deux.

 LA BONNE. – Ah ! c’est ainsi que vous le prenez ! Je vais de ce pas chez Monsieur, pour justifier Geneviève en lui racontant la scène de ce matin, en lui expliquant la promenade dans le bois de l’autre jour, et nous verrons qui sera grondé.

GEORGES, effrayé. – Oh non ! Pélagie, ne dites rien à papa, je vous en prie ; je ne recommencerai pas, bien sûr.

LA BONNE. – Si vous aviez témoigné du repentir, je vous aurais peut-être pardonné cette fois encore et je n’aurais rien dit ; mais, après des heures de réflexion, vous revenez dans des sentiments plus mauvais :   vous   osez   vous   justifier   avec   une   fausseté   dont   votre cousine même est indignée malgré sa grande bonté et son indulgence. Non, monsieur, je ne vous ferai pas grâce, et je vais trouver votre père ; j’espère qu’il me croira et qu’il vous punira comme vous le méritez.

Georges pleurait et suppliait ; Geneviève se joignit à lui mais la bonne fut inflexible.

« Ma chère enfant, dit­-elle  à Geneviève, je  manquerais  à mon devoir, si je ne te justifiais pas aux yeux de ton oncle ; tu as perdu tes parents, il faut qu’il sache la vérité ; je n’ai que trop pardonné et trop attendu pour l’éclairer. Dans l’intérêt même de Georges et de son avenir, je dois l’informer de tout et je le ferai. »

Et, sans attendre de nouvelles supplications, elle sortit et descendit chez M. Dormère.

Pélagie   entra   résolument   chez   M.   Dormère,   qui   écrivait.   Il   se retourna, parut surpris et contrarié en la voyant.

« Que me voulez­-vous ? » lui dit­il d’un ton froid.

PÉLAGIE. – Monsieur, je viens remplir un devoir très pénible et dont j’ai trop tardé à m’acquitter. Mais il s’agit de Georges et je ne doute pas que vous m’écoutiez jusqu’au bout.

M. DORMÈRE. – Parlez, Pélagie ; je vous écoute. Vous savez la tendresse que