: Léon Tolstoï
: Léon Tolstoï: Oeuvres autobiographiques Enfance, Adolescence, Jeunesse, Récits de Sébastopol, Ma confession, Tolstoï et les Doukhobors, Correspondance, Dernières Paroles
: e-artnow
: 9788027302260
: 1
: CHF 1.60
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: Biographien, Autobiographien
: French
: 1014
: Wasserzeichen
: PC/MAC/eReader/Tablet
: ePUB
Ce livre numérique comprend des oeuvres autobiographiques de Tolstoï. L'édition est méticuleusement éditée et formatée. Léon Tolstoï (1828 -1910) est un des écrivains majeurs de la littérature russe. Ses premières publications sont des récits autobiographiques Enfance, Adolescence, Jeunesse (1852-1856). Ils rapportent comment un enfant, fils de riches propriétaires terriens, réalise lentement ce qui le sépare de ses camarades de jeu paysans. Il est frappé dès son enfance par le sentiment de l'absurdité de la vie (à la suite de la mort de son père) et il refuse l'hypocrisie des relations sociales. Tolstoï rejette l'État et l'Église. Sa critique radicale de l'État, ses préoccupations envers les masses opprimées, l'importance de ses réalisations pédagogiques, sa recherche de cohérence sur le plan personnel, en ont fait un penseur proche de l'anarchisme. Marqué par des conflits comme la Guerre de Crimée durant laquelle il a été mobilisé et qu'il a relatée dans Récits de Sébastopol, ou les conflits passés telles les Guerres napoléoniennes, qui constituent la trame de son ?uvre majeure, Guerre et Paix. Tolstoï entame à partir des années 1870 une sorte d'introspection, en forme de quête spirituelle. En 1879, Tolstoï se retourne vers le christianisme qu'il évoque dans Ma confession. Sa critique des institutions oppressives et sources de violence inspirera le Mahatma Gandhi, ainsi que Romain Rolland. Leur message sera ensuite repris par Martin Luther King, Steve Biko, Aung San Suu Kyi, Nelson Mandela et bien d'autres. Table des matières: Enfance (1852) Adolescence (1854) Jeunesse (1855) Récits de Sébastopol (1855) Ma confession (1879-1882) Une lettre inédite (1902) Tolstoï et les Doukhobors (1902) Correspondance Dernières Paroles (1905)

I. NOTRE PRÉCEPTEUR KARL IVANOVITCH


Le 12 août 18.., juste le surlendemain du jour où j’avais eu dix ans et où j’avais reçu de si beaux cadeaux, Karl Ivanovitch me réveilla à sept heures du matin, en tuant une mouche au-dessus de ma tête avec un chasse-mouches en papier à pain de sucre, attaché au bout d’un bâton. Il s’y était pris si maladroitement, qu’il avait accroché l’image de mon ange gardien, suspendue au chevet de mon lit de chêne, et que la mouche morte m’était tombée sur la tête. Je sortis le nez de dessous ma couverture, j’arrêtai de la main l’image, qui continuait à se balancer, je jetai la mouche morte sur le plancher et je me mis à regarder Karl Ivanovitch avec des yeux endormis, mais irrités. Karl Ivanovitch, enveloppé de sa robe de chambre en cotonnade à ramages, attachée avec une ceinture de même étoffe, coiffé de sa calotte de tricot rouge à gland et chaussé de bottes molles en peau de bouc, continuait tranquillement à longer la muraille en visant et en tapant.

« C’est vrai, pensais-je, que je suis petit; mais pourquoi me dérange-t-il? Pourquoi ne va-t-il pas tuer les mouches au-dessus du lit de Volodia? Il n’en manque pourtant pas! Mais non, Volodia est plus âgé que moi; je suis le plus petit de tous; c’est pour ça qu’il me tourmente. Il passe sa vie, murmurai-je à demi-voix, à chercher ce qu’il pourrait me faire de désagréable. Il voit très bien qu’il m’a réveillé et qu’il m’a fait peur; mais il fait semblant de ne pas s’en apercevoir… Le vilain homme! Et sa robe de chambre, et sa calotte, et son gland, est-ce assez laid! »

Tandis que j’exhalais ainsi en moi-même mon dépit contre Karl Ivanovitch, celui-ci s’approcha de son lit, regarda sa montre, qui était pendue au-dessus du lit dans une petite pantoufle brodée de perles, accrocha le chasse-mouches à un clou et se tourna vers nous d’un air d’excellente humeur.

« Allons, enfants, allons! Il est temps de se lever. Votre maman est déjà dans le salon, » cria-t-il de sa bonne voix allemande.

Il vint s’asseoir au pied de mon lit et tira sa tabatière de sa poche. Je faisais semblant de dormir. Karl Ivanovitch commença par prendre une prise, puis il s’essuya le nez et secoua ses doigts, et alors seulement il s’occupa de moi. Il se mit à me chatouiller la plante des pieds avec de petits rires:

« Allons, allons, paresseux! »

J’avais une peur extrême d’être chatouillé. Je ne sortis pourtant pas de mon lit et ne répondis pas. Je cachai ma tête sous mon oreiller, j’envoyai des coups de pied de toutes mes forces et je me tins à quatre pour ne pas rire.

« Comme il est bon et comme il nous aime! Comment ai-je pu en penser tant de mal? »

J’en voulais et à moi-même et à Karl Ivanovitch; j’avais à la fois envie de rire et de pleurer: mes nerfs étaient agacés.

« Laissez-moi donc, Karl Ivanovitch! » criai-je les yeux pleins de larmes, en sortant ma tête de dessous l’oreiller.

Karl Ivanovitch, surpris, laissa mes pieds tranquilles et me demanda avec inquiétude ce que j’avais, si j’avais fait un mauvais rêve. Sa bonne figure allemande et la sollicitude avec laquelle il cherchait à deviner le sujet de mes larmes firent couler celles-ci encore plus abondamment. J’avais des remords, et je ne comprenais pas comment, une minute auparavant, j’avais pu ne pas aimer Karl Ivanovitch et trouver horribles sa robe de chambre, sa calotte et son gland. À présent, au contraire, tout cela me paraissait ravissant, et le gland me semblait même une preuve évidente de la bonté de Karl Ivanovitch. Je lui dis que je pleurais parce que j’avais fait un mauvais rêve: j’avais rêvé que maman était morte et qu’on allait l’enterrer. J’inventais, car je ne me rappelais pas du tout ce que j’avais rêvé cette nuit-là; mais, quand Karl Ivanovitch, ému de mon récit, se mit à me consoler et à me rassurer, il me sembla que j’avais vraiment vu cet affreux songe, et ce me fut un nouveau sujet de larmes.

Lorsque Karl Ivanovitch m’eut quitté et que je fus levé, occupé à mettre mes bas à mes