« Comment, te voilà encore, Charles ? dit Juliette en entendant ouvrir la porte.
CHARLES
Comment as-tu deviné que c’était moi ?
JULIETTE
Par la manière dont tu as ouvert ; chacun ouvre différemment, c’est bien facile à reconnaître.
CHARLES
Pour toi, qui es aveugle et qui as l’oreille si fine ; moi, je ne vois aucune différence ; il me semble que la porte fait le même bruit pour tous.
JULIETTE
Qu’as-tu donc, pauvre Charles ? Encore quelque démêlé avec ta cousine ? Je le devine au son de ta voix.
CHARLES
Eh ! mon Dieu oui ! Cette méchante, abominable femme, me rend méchant moi-même. C’est vrai, Juliette ; avec toi, je suis bon et je n’ai jamais envie de te jouer un tour ou de me fâcher ; avec ma cousine, je me sens mauvais et toujours prêt à m’emporter.
JULIETTE
C’est parce qu’elle n’est pas bonne, et que toi, tu n’as ni patience ni courage.
CHARLES
C’est facile à dire, patience ; je voudrais bien t’y voir ; toi qui es un ange de douceur et de bonté, tu te mettrais en fureur. »
Juliette sourit.
« J’espère que non, dit-elle.
CHARLES
Tu crois ça. Écoute ce qui m’arrive aujourd’hui depuis la première fois que je t’ai quittée ; à ma seconde visite, je ne t’ai rien dit, parce que j’avais peur que tu ne me fisses rentrer chez moi de suite ; à présent j’ai le temps, puisque ma cousine dort, et tu vas tout savoir. »
Charles raconta fidèlement ce qui s’était passé entre lui, sa cousine et Betty.
« Comment veux-tu que je supporte ces reproches et ces injustices avec la patience d’un agneau qu’on égorge ?
– Je ne t’en demande pas tant, dit Juliette en souriant ; il y a trop loin de toi à l’agneau ; mais, Charles, écoute-moi. Ta cousine n’est pas bonne, je le sais et je l’avoue ; mais c’est une raison de plus pour la ménager et chercher à ne pas l’irriter. Pourquoi es-tu inexact, quand tu sais que cinq minutes de retard la mettent en colère ?
CHARLES
Mais c’était pour rester quelques minutes de plus avec toi, pauvre Juliette ; il n’y avait personne chez toi quand je t’ai ramenée.
JULIETTE
Je te remercie, mon bon Charles ; je sais que tu m’aimes, que tu es bon et soigneux pour moi, mais pourquoi ne l’es-tu pas un peu pour ta cousine ?
CHARLES
Pourquoi ? Parce que je t’aime et que je la déteste ; parce que chaque fois qu’elle se fâche et me punit injustement, je veux me venger et la faire enrager.
– Charles, Charles ! dit Juliette d’un ton de reproche.
CHARLES
Oui, oui, c’est comme ça ; elle a reçu des coups dans la poitrine, au visage ; j’ai fait cacher par Betty (qui la déteste aussi) ses vilaines dents dans sa soupe ; je lui ai arraché et déchiré sa perruque ; et quand elle va s’éveiller, elle va trouver son tabac plein de café, son livre et son ouvrage disparus ; elle sera furieuse, et je serai enchanté, et je serai vengé !
JULIETTE
Vois comme tu t’emportes ! Tu tapes du pied, tu tapes les meubles, tu cries, tu es en colère, enfin ; tu fais juste comme ta cousine, et t