: Boris Nicolas
: Les loups du Sahel Roman
: Books on Demand
: 9782322246120
: 1
: CHF 6.60
:
: Hauptwerk vor 1945
: French
: 344
: Wasserzeichen
: PC/MAC/eReader/Tablet
: ePUB
Tout va merveilleusement bien pour eux jusqu'à ce jour maudit du 16 octobre lorsqu'une voiture chargée d'explosifs vient se fracasser, en faisant 21 morts, sur la façade de la galerie d'art bavaroise où ils se trouvent. Lui, Simon, peintre, y présente des oeuvres dénonçant les atrocités djihadistes. Elle, Aïcha, très jeune berbère d'une beauté rare et singulière, à la chevelure flamboyante bleu-nuit et aux grands yeux sombres comme des lacs profonds de montagne, devenue l'égérie d'un célèbre couturier parisien, est à ses côtés. Les loups du Sahel est né d'une folle idée qui va alimenter les journaux et les télévisions, faire courir les photographes et les policiers, faire naître des passions inavouables et des haines raciales dévastatrices.

Architecte d'intérieur spécialisé dans l'hôtellerie de luxe, membre bénévole d'actions humanitaires pour la jeunesse et pour la fourniture gratuite de matériel de cancérologie, peintre abstrait, écrivain.

Simon était resté perplexe un long moment devant le tableau que Aïcha avait caché et accroché à nouveau dans le salon, celui-là était composé dans sa partie basse de deux taches brunes granitées comme de la terre fraîche, sur chacune était écrite en majuscules la lettre K, au dessus une multitude de taches diversement colorées étaient bien alignées côte à côte comme des silhouettes filiformes de Giacometti, au dessus, un ruban de tissu était collé sur une partie de la largeur du tableau, Simon se dit que peut-être Aïcha n'avait pas vu qu'on pouvait soulever le tissu pour lire le titre, mis par lui à la première personne du pluriel, du roman de Boris Vian : ...irons ...sur vos tombes.

Il décrocha le tableau, se réfugia dans son atelier. Il sortit des étagères métalliques son travail de l'an passé, celui avant sa période des petites écritures, il sélectionna cinq tableaux de la série peinte dans des nuances de bleu et de vert, alla les accrocher dans le salon, réalisa que cela faisait environ six mois qu'il ne les avait plus regardés. Des traits incisifs circulaient entre des masses colorées qui pouvaient suggérer des rochers, un bout de ciel, le cours d'un ruisseau, des paysages de nulle part, qu'il appelait ''quelque part ailleurs'' ils étaient pour lui une invitation à des promenades sans fin, imaginaires, poétiques, il avait souvent l'amer sentiment d'être seul à ressentir ce besoin d'évasion exprimé par des espaces abstraits, il pensa, Aïcha sera certainement heureuse de retrouver le salon habité.

Il prit un sécateur, coupa quelques branches fleuries du bougainvillier, en fit un grand bouquet qu'il posa sur la console de l'entrée, voilà tout était prêt pour ce soir, pour l'arrivée de Aïcha. Il lui restait encore trois longues heures à attendre,

Le téléphone sonna, c'était Déborah, elle lui demanda s'il avait des nouvelles, elle avait appelé Lawrence sans succès, elle en profita pour lui annoncer avoir pris un verre avec Judith. Elle n'allait pas bien, s'était séparée de son nouveau compagnon du moment.

– Cela reste entre nous Simon, j'ai l'impression qu'elle est encore amoureuse de toi, si, si, tu seras un éternel séducteur mon cher, Lawrence m'a laissé entendre que la petite et toi… je te comprends, elle est superbe, à la manière dont il m'a dit cela, je crois que lui aussi en pince un peu pour elle, je le connais bien.

Le téléphone sonna une seconde fois, sa voix douce, limpide, fut là contre son oreille, elle coulait dans tout son corps, y faisait naître une chaleur bienfaisante :

– Alors raconte ma chérie, pardon... tu ne peux pas rentrer ce soir... tu me fais marcher... mais où es-tu ?

– Au restaurant avec Lawrence

– Et ensuite ?

– A l'hôtel…

Elle avait oublié le nom :

– Mais rassure-toi mon Simon, l’agence a réservé deux chambres.

Elle fit un résumé de l'incroyable séance de la soirée, du rendez vous demain matin à 9h :

– C'était impossible d'être à Paris à cette heure là, tu comprends ?

Sa voix était devenue triste :

– Si tu savais mon chéri quelle impatience j'ai d'être dans tes bras.

Hans-Dieter avait rejoint Peter dans la galerie. D'une nudité affligeante malgré le soleil resplendissant posé sur le lac immobile, sur les arbres tout autour, elle donnait cette triste impression dégagée par les locaux en location ou en vente, seuls deux canapés et une chaise faisaient la sieste devant une baie vitrée. Peter travaillait depuis huit ans avec Hans-Dieter, une réelle complicité s'était instaurée entre eux, il éprouvait une certaine fascination pour cet homme d'une incroyable érudition, dont la prestance ne laissait personne indifférent, Hans Dieter appréciait ce jeune homme dévoué, il aurait pu être le fils qu'il n'avait jamais eu, la qualité de son jugement instinctif le surprenait souvent. Il lui avait demandé de l'appeler simplement Hans, ils se vouvoyaient bien entendu.

Peter annonça les nouvelles de la veille, une lithographie de Miro à dominante jaune était réservée, on avait enregistré deux cent vingt entrées, les ventes de livres, affiches, s'élevaient à huit cents euros, il parlait vite, le regard tourné vers les tableaux emballés. Hans Dieter lui demanda en riant de bien vouloir attendre sagement à l'étage :

– Ne trichez pas Peter, ne vous penchez pas pour regarder, je vous appelle.

Les tableaux furent déballés par Hans-Dieter, il déplaça sur le mur face à l'entrée quelques tiges de suspension, actionna la commande centrale des stores, l'intérieur de la galerie devint invisible de l'extérieur.

Il suspendit les cinq tableaux côte à côte, séparés chacun par deux mètres environ, plaça un des canapés dans l'axe face à eux, s'y assis, il ôta son panama, le posa sur le coussin, des grosses gouttes de sueur perlaient sur son front :

– Maintenant vous pouvez venir Peter.

Celui-ci descendit rapidement, marqua un temps d'arrêt. Il allait d'un tableau à l'autre, il avait découvert les inscriptions en petits caractères, il se penchait, ajustait ses lunettes, reculait, revenait, retournait une seconde fois à l'un, puis encore à l'autre.

Il répéta plusieurs fois :

– Oh !! mein Got

Il s'immobilisa, son regard avait une concentration douloureuse, il semblait hébété :

– Qui est ce peintre?

Hans-Dieter lui demanda de s'asseoir à côté de lui, Peter chercha une chaise et se posa face à lui :

– Vous allez être surpris, Peter, je l'ignore.

Il raconta son incroyable découverte au bord de la route, précisa avoir fait venir Susie Ratlager à Cannes pour discuter avec elle des conséquences juridiques si un jour le peintre se manifestait, si on l'accusait de les avoir volé ou de ne pas avoir fait les recherches pour le retrouver :

– Tout ce que je vous dis est confidentiel Peter, personne ne doit être au courant, pas même Anna ni votre épouse.

Peter sidéré regardait son patron :

– Mais que comptez-vous faire de ces tableaux ?

Hans-Dieter von Back se redressa dans son sofa :

– Nous allons en faire l'exposition de la décennie mon cher, elle fera la une des informations.

Peter se leva sans un mot,

– J'ai besoin de réfléchir Hans, permettez-moi de vous quitter, je serai là demain matin à 9heures.

Hans-Dieter éteignit les lumières, fit descendre les grilles métalliques, ferma la galerie. Une fois rendu sur la pelouse il se retourna.

Le bâtiment vitré ressemblait à une immense cage ouvragée, le spot sur le balcon à côté projetait l'image de la statue bleue de Niki sur la façade en miroirs, cette mise en scène spectaculaire lui plaisait beaucoup, pourtant, curieusement, il se sentait impatient de faire les esquisses de transformation de la galerie.

Il prit un carnet Canson, plusieurs crayons et fusains, déverrouilla les portes donnant accès par la passerelle à l'étage de la galerie, son espace de travail comportait un bureau appelé le Lectori Salutem, une œuvre exceptionnelle aux courbes irréelles, composée de 165 pièces d'acier poli, la suspension nommée Virtue of Blue avec ses 500 papillons surmontait le nouvel iMac 27 pouces avec écran Retina 5K.

Il pianota Millares sur le clavier, plusieurs images saisissantes de précision s'affichèrent sur l'écran. Hans-Dieter s'était toujours interrogé sur les raisons pour lesquelles ce peintre espagnol, majeur selon lui, était moins connu que Tapiès, Saura ou Burri, il isola l'une des œuvres, un assemblage de fragments de tissus froissés noirs, cousus avec de la ficelle qui traversait en tous sens la toile déchirée, laissant apparaître par endroits l'ossature, le cadre en bois.

Cette œuvre représentait pour Hans-Dieter un symbole fort de l'Espagne noire qui s'était reconstruite de ses ruines.

Il se dit que peut-être les messages écrits sur les tableaux de ce peintre inconnu préfiguraient aussi les ruines de notre civilisation chrétienne.

Cette pensée le poursuivait depuis Cannes, il ressentait le besoin d'attirer l'attention sur ce danger, il fallait pour cela une manifestation exceptionnelle dont les médias parleraient.

Il contemplait le Millares, envisageait de tendre des toiles noires immenses assemblées par des cordages sur...