II
Promesse de Caroline
La femme Thibaut était restée immobile pendant toute cette scène, qui l’avait visiblement agitée ; quand Mlle Rose fut partie, elle appela Gribouille.
« Gribouille, comment se fait-il que Mlle Rose ait pu croire que ta sœur lui faisait présent de la robe de Mme Delmis ?
Gribouille
Est-ce que je le savais, moi, que la robe était à Mme Delmis ? J’ai répété à Mlle Rose ce que Caroline m’avait ordonné de lui dire.
La mère Thibaut
Mais qu’as-tu dit ? répète-moi tes paroles.
Gribouille
Je ne me souviens plus bien à présent. Je crois que j’ai dit : « Mademoiselle Rose, voici une robe que ma sœur a faite pour vous, et qu’elle vous envoie. »
La mère Thibaut
Et Mlle Rose a cru que c’était pour elle ?
Gribouille
Bien sûr, puisque je l’ai cru moi-même ; et si je l’ai cru, pourquoi, ne l’aurait-elle pas cru aussi ?
Caroline
Je comprends maintenant sa colère : elle a pensé que j’avais voulu me moquer d’elle et la faire gronder.
La mère Thibaut
Aussi, pourquoi donnes-tu des commissions à Gribouille ? Tu sais que le pauvre garçon est...
Caroline,vivement.
Bien complaisant, et fait tout ce qu’il peut pour bien faire ; je le sais, maman ; il est si content quand il me rend service !
Gribouille
Bonne Caroline ! Oui, je voudrais te rendre toujours service, mais je ne sais comment il arrive que les choses tournent contre moi, et qu’au lieu de t’aider je te fais du mal. C’est bien sans le vouloir, va.
La mère Thibaut
Alors pourquoi te mêles-tu de ses affaires, mon ami, puisque tu sais que tu n’as pas l’intelligence de les bien faire ?
Caroline
Oh ! maman, il m’est souvent très utile...
Gribouille,avec tristesse.
Laisse, laisse, ma bonne Caroline, tu as déjà arrêté maman tout à l’heure, quand elle a voulu dire que j’étais bête. Je sais que je le suis, mais pas tant qu’on le croit. Je trouverai de l’esprit pour te venger de Mlle Rose, sois-en sûre.
Caroline
Gribouille, je te le défends ; pas de vengeance, mon ami : sois bon et charitable ; pardonne à ceux qui nous offensent.
Gribouille
Je veux bien pardonner à ceux qui m’offensent, moi ; mais jamais à ceux qui t’offensent, toi ! Toi si bonne, et qui ne fais de mal à personne !
Caroline
Je t’en prie, Gribouille, n’y pense pas davantage ; défends-moi, je le veux bien, comme tu l’as fait si vaillamment tout à l’heure, mais ne me venge jamais. Tiens, ajouta-t-elle en lui présentant un livre, lis ce passage de la Vie de Notre-Seigneur Jésus-Christ : tu verras comme il pardonne tout et toujours et tâche de faire comme lui. »
Gribouille prit le livre, qu’il se mit à lire attentivement. La mère Thibaut appela Caroline et lui parla bas.
« Ma fille, lui dit-elle, que deviendra ce pauvre garçon quand je n’y serai plus ? Tant que je vis, nous avons la rente de six cents francs que me fait mon cousin Lérot, pour le débit de tabac que je lui ai cédé, mais je n’en ai pas pour longtemps ; je sens tous les jours mes forces s’affaiblir ; mes mains commencent à se paralyser comme les jambes, ma tête se prend quelquefois ; la scène de tout à l’heure m’a fait bien mal. Et que deviendras-tu, ma pauvre enfant, avec Gribouille, qui est incapable de gagner sa vie et qui t’empêchera de te placer ? Pauvre Gribouille !
– Ne vous inquiétez pas de moi, chère maman, dit Caroline en l’embrassant tendrement ; je travaille bien, vous savez, je ne manquerai pas d’ouvrage ; je gagnerai facilement de quoi vivre avec Gribouille, qui fera le ménage et les commissions, et qui m’aidera de son mieux. D’ailleurs, vous n’êtes pas si mal que vous croyez ; vous vivrez longtemps encore ; et d’ici à quelques années mon frère deviendra bon ouvrier et aussi capable qu’un autre.
La mère Thibaut
J’en doute, ma fille. Mon pauvre Gribouille sera toujours ce qu’