: Stendhal
: Lucien Leuwen
: Books on Demand
: 9782322151479
: 1
: CHF 2.00
:
: Erzählende Literatur
: French
: 456
: Wasserzeichen
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: ePUB
" ... la politique provinciale avait été étudiée plus prudemment en son naturel par le sous-lieutenant Lucien Leuwen à Nancy. Jésuites, royalistes, armée, espions, mouvements ouvriers, tout s'y trouve, et le politique de province aussi en ce docteur Du Poirier, qui est un des meilleurs portraits de Stendhal. On trouve dans ce grimpeur d'escaliers, dans ce parleur, dans ce pêcheur, un étonnant mélange de prudence, d'hypocrisie, de conviction, et d'humeur insolente qui fait un homme fort et naïvement impénétrable. La matière humaine en toutes ces pages mérite son terrible nom." Alain.

Stendhal, whose real name is Marie-Henri Beyle, born on 23 January 1783 in Grenoble and died on 23 March 1842 in Paris, is a French writer of the first half of the 19th century. He joined the army in 1800 and held mainly military administrative positions, as he did during the Russian campaign in 1812. An art lover and passionate about Italy, where he spent many years, he first wrote aesthetic essays under his real name as L'Histoire de la peinture (early 1817), but it was under the pseudonym"M. de Stendhal, officier de cavalerie" that he published Rome, Naples, Florence in September 1817. This pen name is inspired by a German town called"Stendal", the birthplace of the renowned art historian and archaeologist Johann Joachim Winckelmann at the time, but above all close to where Stendhal lived in 1807-1808 a moment of great passion with Wilhelmine de Grisheim. Having added an H to further Germanize the name, he wanted to pronounce it"Standhal". His training novels Le Rouge et le Noir (1830), La Chartreuse de Parme (1839) and Lucien Leuwen (unfinished) made him, alongside Balzac, Hugo, Flaubert or Zola, one of the great representatives of 19th century French fiction. In his novels, characterized by a thrifty and tightened style, Stendhal searches for"Truth, the harsh truth" in the psychological field, and mainly portrays young people with romantic aspirations for vitality, strength of feeling and dreams of glory.

Chapitre XXXVIII


« Je ne veux point abuser de mon titre de père pour vous contrarier ; soyez libre, mon fils.

– Mon cher Lucien, j’ai chargé votre mère de vous gronder, s’il y a lieu. J’ai rempli les devoirs d’un bon père, je vous ai mis à même de recevoir deux coups d’épée. Vous connaissez la vie de régiment, vous connaissez la province, préférez-vous la vie de Paris ? Donnez vos ordres, mon prince. Il n’y a qu’une chose à laquelle on ne consentira pas : c’est le mariage.

– Il n’en est pas question, mon père. »

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M. Leuwen père. Une autre fois :

« On voit trop d’âme à travers vos paroles. Vous ne manquez pas d’esprit, mais vous parlez trop de ce que vous sentez, trop. Cela attire trop les fourbes de toute espèce. Tâchez donc d’amuser en parlant aux autres de ce qui ne vous intéresse nullement. »

Ainsi, établi dans un fauteuil admirable, devant un bon feu, parlait d’un air riant M. Leuwen père, riche banquier déjà sur l’âge, à Lucien Leuwen, son fils et notre héros.

Le cabinet où avait lieu la conférence entre le père et le fils venait d’être arrangé avec le plus grand luxe sur les dessins de M. Leuwen lui-même. Il avait placé dans ce nouvel ameublement les trois ou quatre bonnes gravures qui avaient paru dans l’année en France et en Italie, et un admirable tableau de l’école romaine dont il venait de faire l’acquisition. La cheminée de marbre blanc contre laquelle s’appuyait Leuwen avait été sculptée à Rome dans l’atelier de Tenerani, et la glace de huit pieds de haut sur six de large, placée au-dessus, avait figuré dans l’exposition de 1834 comme absolument sans défaut. Il y avait loin de là au misérable salon dans lequel, à Nancy, Lucien promenait ses inquiétudes. En dépit de sa douleur profonde, la partie parisienne et vaniteuse de son âme était sensible à cette différence. Il n’était plus dans des pays barbares, il se trouvait de nouveau au sein de sa patrie.

« Mon ami, dit M. Leuwen père, le thermomètre monte trop vite, faites-moi le plaisir de pousser le bouton de ce ventilateur numéro ε... là... derrière la cheminée... Fort bien. Donc, je ne prétends nullement abuser de mon titre pour abréger votre liberté. Faites absolument ce qui vous conviendra. »

Leuwen, debout contre la cheminée, avait l’air sombre, agité, tragique, l’air en un mot que nous devrions trouver à un jeune premier de tragédie malheureux par l’amour. Il cherchait avec un effort pénible et visible à quitter l’air farouche du malheur pour prendre l’apparence du respect et de l’amour filial le plus sincère, sentiments très vivants dans son cœur. Mais l’horreur de sa situation depuis la dernière soirée passée à Nancy avait remplacé sa physionomie de bonne compagnie par celle d’un jeune brigand qui paraît devant ses juges.

« Votre mère prétend, continua M. Leuwen père, que vous ne voulez pas retourner à Nancy ? Ne retournez pas en province ; à Dieu ne plaise que je m’érige en tyran. Pourquoi ne feriez-vous pas des folies, et même des sottises ? Il y en a une, pourtant, mais une seule, à laquelle je ne consentirai pas, parce qu’elle a des suites : c’est le mariage ; mais vous avez la ressource dessommations respectueuses... et pour cela je ne me brouillerai pas avec vous. Nous plaiderons, mon ami, en dînant ensemble.

– Mais, mon père, répondit Lucien revenant de bien loin, il n’est nullement question de mariage.

– Eh ! bien, si vous ne songez pas au mariage, moi j’y songerai. Réfléchissez à ceci : je puis vous marier à une fille riche et pas plus sotte qu’une pauvre, et il est fort possible qu’après moi vous ne soyez pas riche. Ce peuple-ci est si fou, qu’avec une épaulette, une fortune bornée est très supportable pour l’amour-propre. Sous l’uniforme, la pauvreté n’est que la pauvreté, ce n’est pas grand-chose, il n’y a pas le mépris. Mais tu croiras ces choses-là, dit M. Leuwen en changeant de ton, quand tu les auras vues toi-même... Je dois te sembler un radoteur... Donc, brave sous-lieutenant, vous ne voulez plus de l’état militaire ?

– Puisque vous êtes si bon que de raisonner avec moi au lieu de commander, non, je ne veux plus de l’état militaire en temps de paix, c’est-à-dire passer ma soirée à jouer au billard et à m’enivrer au café, et encore avec défense de prendre sur la table de marbre mal essuyée d’autre journal que leJournal de Paris. Dès que nous sommes trois officiers à [nous] promener ensemble, un au moins peut passer pour espion dans l’esprit des deux autres. Le colonel, autrefois intrépide soldat, s’est transformé, sous la baguette du juste-milieu, en sale commissaire de police. »

M. Leuwen père sourit comme malgré lui. Lucien le comprit