: Stendhal, Henri Beyle
: La vie de Napoléon une biographie de l'Empereur des Français par Stendhal
: Books on Demand
: 9782322428588
: 1
: CHF 4.10
:
: Romanhafte Biographien
: French
: 134
: Wasserzeichen
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: ePUB
Cette Vie de Napoléon, composée à Milan en 1817-1818, est l'un des deux essais que Stendhal a consacrés à l'Empereur, le second étant Mémoires sur Napoléon (1836-1837). Il fut écrit pour répondre à Madame de Staël qui, dans ses Considérations sur la Révolution française, avait attaqué Napoléon, auquel Stendhal, qui le plaçait plus haut que César même, vouait une véritable passion... n'excluant pas, comme il le montre ici, la critique."Ma passion pour Napoléon, écrivait-il en 1836, est la seule qui me reste ; elle ne m'empêche pas de voir les erreurs et les petitesses qui peuvent lui être reprochées."

Henri Beyle, plus connu sous le pseudonyme de Stendhal, né le 23 janvier 1783 à Grenoble et mort d'apoplexie le 23 mars 1842 dans le 2e arrondissement de Paris, est un écrivain français, connu en particulier pour ses romans Le Rouge et le Noir et La Chartreuse de Parme.

PRÉFACE.


De 1806 à 1814, j'ai vécu dans une société dont les
actions de l'Empereur formaient la principale attention.
Pendant une partie de ce temps, j'ai été attaché à la
cour de ce grand homme, et je le voyais deux ou trois
fois la semaine. (H. B.)

Fu vera gloria ?
Ai posteri l'ardua sentenza.
(MANZONI,Ode sur Napoléon.)

Un homme a eu l'occasion d'entrevoir Napoléon à Saint-Cloud, à Marengo, à Moscou ; maintenant il écrit sa vie, sans nulle prétention au beau style. Cet homme déteste l'emphase comme germaine de l'hypocrisie, le vice à la mode au XIXe siècle.

Les petits mérites seuls peuvent aimer le mensonge qui leur est favorable ; plus la vérité tout entière sera connue, plus Napoléon sera grand.

L'auteur emploiera presque toujours les propres paroles de Napoléon pour les récits militaires. Le même homme qui a fait a raconté. Quel bonheur pour la curiosité des siècles â venir ! Qui oserait, après Napoléon, raconter la bataille d'Arcole ?

Toutefois, tout occupé de son récit, il était plein de ce magnifique sujet, et supposant, comme les gens passionnés, que tout le monde devait le comprendre à demi-mot, quelquefois il est obscur. Alors on a placé, avant l'admirable récit de Napoléon, les éclaircissements nécessaires. L'auteur les a trouvés dans ses souvenirs.

En sa qualité de souverain, Napoléon écrivant mentait souvent. Quelquefois le cœur du grand homme soulevait la croûte impériale ; mais il s'est toujours repenti d'avoir écrit la vérité et, de temps en temps, de l'avoir dite. A Sainte-Hélène, il préparait le trône de son fils, ou un second retour, comme celui de l'ile d'Elbe. J'ai tâché de n'être pas dupe.

Pour les choses que l'auteur a vues ou qu'il croit vraies, il aime mieux employer les paroles d'un autre témoin, que de chercher lui-même à fabriquer une narration.

Je n'ai pas dit de certains personnages tout le mal que j'en sais ; il n'entrait point dans mes intentions de faire de ces mémoires un cours de connaissances du cœur humain.

J'écris cette histoire telle que j'aurais voulu la trouver écrite par un autre, au talent prés. Mon but est de faire connaitre cet homme extraordinaire, que j'aimais de son vivant, que j'estime maintenant de tout le mépris que m'inspire ce qui est venu après lui.

Comptant sur l'intelligence du lecteur, je ne garde point toutes les avenues contre la critique ; les hypocrites m'accuseront probablement de manquer de morale, ce qui n'augmentera nullement la dose de mépris que j'ai pour ces gens là.

Il n'y a pas d'opinion publique à Paris sur les choses contemporaines ; il n'y a qu'une suite d'engouements, se détruisant l'un l'autre, comme une onde de la mer effaçant l'onde qui la précédait.

Le peuple, que Napoléon a civilisé en le faisant propriétaire et en lui donnant la même croix qu'à un maréchal, le juge avec son cœur, et je croirais assez que la postérité confirmera l'arrêt du peuple. Quant aux jugements des salons, je suppose qu'ils changeront tous les dix ans, comme j'ai vu arriver en Italie, pour le Dante, aussi méprisé en 1800 qu'il est adoré maintenant.

L'art de mentir a singulièrement grandi depuis quelques années. On n'exprime plus le mensonge en termes exprès, comme du temps de nos pères ; mais on le produit au moyen de formes de langage vagues et générales, qu'il serait difficile de reprocher au menteur et surtout de réfuter en peu de mots. Pour moi, je prends dans quatre ou cinq auteurs différents, quatre ou cinq petits faits ; au lieu de les résumer par une phrase générale, dans laquelle je pourrais glisser des nuances mensongères, je reproduis ces petits faits, en employant, autant que possible, les paroles mêmes des auteurs originaux.

Tout le monde avoue que l'homme qui raconte doit dire la vérité clairement. Mais pour cela il faut avoir le courage de descendre aux plus petits détails. C'est là, ce me semble, le moyen unique de répondre à la défiance du lecteur. Loin de redouter cette défiance, je la désire et la sollicite de tout mon cœur.

Par le mensonge qui court, la postérité ne pourra guère se fier qu'aux historiens contemporains. On sent chez un homme le ton de la vérité. D'ailleurs, dix ans après sa mort, la camaraderie qui le protégeait est dissoute, et celle qui lui succède met la vérité de cet écrivain au nombre de ces vérités indifférentes qu'il faut bien admettre, pour se donner du crédit, et pouvoir mentir avec quelque succès sur tout le reste.

Avant 1810, quand un écrivain mentait, c'était par l'effet d'une passion qui se trahissait d'elle-même et qu'il était facile d'apercevoir. Depuis 1812, et surtout depuis 1830, l'on ment de sang-froid pour arriver à une place ; ou, si l'on a de quoi vivre, pour atteindre, dans les salons, à une considération agréable.

Que de choses fausses dites sur Napoléon ! N'est-ce pas M. de Chateaubriand3 qui a prétendu qu'il manquait de bravoure personnelle, et que, d'ailleurs, il s'appelait Nicolas ? Comment s'y prendra l'historien de 1860 pour se défendre de tous les faux mémoires qui, chaque mois, ornent lesRevues de 1837 ? — L'écrivain qui a vu l'entrée de Napoléon à Berlin le 27 octobre 1806, qui l'a vu à Wagram, qui l'a vu marchant un bâton à la main, dans la retraite de Russie, qui l'a vu au conseil d'État, s'il a le courage de dire la vérité sur tout, même contre son héros, a donc quelque avantage.

Quand, pour mon malheur, il m'arrivera d'avoir une opinion qui n'entre pas dans le Credo littéraire ou politique du public de 1837, loin de l'envelopper savamment, je l'avouerai de la façon la plus claire et la plus crue. La crudité, je le sais, est un défaut de style ; mais l'hypocrisie est un défaut de mœurs tellement prédominant de nos jours, qu'il faut se précautionner de toutes les ressources, pour n'y pas être entraîné.

L'art de mentir fleurit surtout à l'aide du beau style académique et des périphrases commandées, dit-on, par l'élégance. Moi je prétends qu'elles sont commandées par la prudence de l'auteur qui, en général, veut de la littérature se faire un chausse-pied à quelque chose de mieux.

Je prie donc le lecteur de pardonner au style le plus simple et le moins élégant ; à un style qui ressemblerait, s'il en avait le talent, au style du XVIIe siècle, au style de M. de Sacy, traducteur des lettres de Pline, de M. l'abbé Mongault, traducteur d'Hérodien. Il me semble que j'aurai toujours le courage de choisir le mot inélégant, lorsqu'il donnera une nuance d'idées de plus.

En lisant l'histoire ancienne, dans la jeunesse, la plupart des cœurs qui sont susceptibles d'enthousiasme, s'attachent aux Romains et pleurent leurs défaites ; et tout cela malgré leurs injustices et leur tyrannie envers leurs alliés. Par un sentiment de même nature, on ne peut plus aimer un autre général après avoir vu agir Napoléon. On trouve toujours dans les propos des autres quelque chose d'hypocrite, de cotonneux d'exagéré, qui tue l'inclination naissante. L'amour pour Napoléon est la seule passion qui me soit restée ; ce qui ne m'empêche pas de voir les défauts de son esprit et les misérables faiblesses qu'on peut lui reprocher.

Maintenant que vous êtes prévenu, ô lecteur malévole, et que vous savez à quel rustre dépourvu de grâces, ou plutôt à quelle dupe, sans ambition, vous avez affaire, si vous n'avez point encore fermé le livre, je vais me permettre de discuter une question.

De bons juges m'ont assuré que ce n'est que dans vingt ou trente ans d'ici que l'on pourra publier une histoire raisonnable de Napoléon. Alors, les mémoires de M. de Talleyrand, de M. le duc de Bassano, et de bien d'autres, auront paru et auront été jugés. L'opinion définitive de la postérité sur ce grand homme aura commencé à se déclarer ; l'envie de la classe noble, si ce n'est que de l'envie, aura cessé. Maintenant beaucoup de gens recommandables se font encore une gloire d'appeler Napoléon,M. de Buonaparté.

L'écrivain de 1860 aura beaucoup d'avantages ; toutes les sottises que le temps détruit ne seront pas arrivées jusqu'à lui ; mais il lui manquera le mérite inappréciable d'avoir connu son héros, d'en avoir entendu parler trois ou quatre heures de chaque journée. J'étais employé à sa cour, j'y ai...