III
L’Anglais et Alcide
Peu de jours après, Julien était aux champs, faisant paître ses dindes, lorsqu’un homme qu’il ne connaissait pas s’approcha du troupeau et le regarda attentivement. Il s’approcha de Julien.
L’homme
Eh ! pétite ! C’était à toi ces grosses hanimals ?
– Non, m’sieur » répondit Julien, surpris de l’accent de l’étranger.
L’homme
Pétite, jé voulais acheter ces grosses hanimals ; j’aimais beaucoup les turkeys.
Julien ne répondit pas : il ne comprenait pas ce que voulait cet homme qui parlait si mal le français.
L’Anglais
Eh ? pétite ! tu n’entendais pas moi ?
Julien
J’entends bien, m’sieur mais je ne comprends pas.
L’Anglais
Tu comprénais pas, pétite nigaude ? jé disais j’aimais bien les turkeys.
Julien
Oui, m’sieur.
L’Anglais
Eh bien ?
Julien
Eh bien, m’sieur, je ne comprends pas.
L’Anglais,impatienté.
Tu comprénais pas turkeys ? Tu savoir pas parler, alors.
Julien
Si fait, m’sieur ; je parle bien le français, mais pas le turc.
L’Anglais,de même.
Pétite himbécile ! jé parlais français comme toi, jé parlais pas turk. Et jé té disais : jé voulais acheter ces grosses hanimals, ces grosses turkeys.
Julien,riant.
Ah ! bien, je comprends. M’sieur appelle mes dindes des Turcs. Et m’sieur veut les avoir ?
L’Anglais
Eh oui ! pétite ! Combien elles coûtaient ?
Julien
Elles ne sont pas à moi, m’sieur ; je ne peux pas les vendre.
L’Anglais
Où c’est on peut les vendre ?
Julien
À la ferme, m’sieur ; Mme Bonard.
L’Anglais
Où c’est madme Bonarde ?
Julien
Là-bas, m’sieur. Derrière ce petit bois, à droite, puis à gauche.
L’Anglais
Oh ! moi pas connaître et moi pas trouver madme Bonarde. Viens, pétite, tu vas montrer madme Bonarde.
Julien
Je ne peux pas quitter mes dindes, m’sieur. Il faut que je les fasse paître.
L’Anglais
Pêtre ? Quoi c’est, pêtre ?
Julien
Paître, manger. Je ne les rentre que le soir.
L’Anglais
Moi, jé comprends pas très bien. Toi manger toutes les grosses turkeys ? Aujourd’hui ?
Julien
Non, m’sieur... Adieu, m’sieur. »
Et Julien, ennuyé de la conversation de l’Anglais, le salua et fit avancer les dindons ; l’Anglais le suivit. Julien eut beau s’arrêter, marcher, aller de droite et de gauche, l’Anglais ne le quittait pas. Julien, un peu troublé de cette obstination, et craignant que cet étranger ne lui enlevât une ou deux de ses dindes, les dirigea du côté de la ferme pour appeler quelqu’un à son aide.
Au moment où il allait tourner au coin du petit bois, il aperçut un jeune garçon qui en sortait, se dirigeant aussi vers la ferme.
Julien appela.
« Eh ! par ici, s’il vous plaît ! un coup de main pour rentrer plus vite mes dindes. »
Le garçon se retourna ; Julien reconnut Alcide. Il regretta de l’avoir appelé. Alcide accourut près de Julien, et à son tour reconnut l’Anglais, qu’il salua.
Alcide
Que me veux-tu, Julien ? Tu ne m’appelles pas souvent, et pourtant je ne demande pas mieux que de t’obliger.
Julien
Tu sais bien, Alcide, que mon maître nous défend, à Frédéric et à moi, de causer avec toi. Si je t’ai appelé aujourd’hui, c’est pour m’aider à ramener à la ferme mes dindes qui s’écartent ; elles sentent que ce n’est pas encore leur heure.
Alcide
Et pourquoi es-tu si pressé de les r