IV
Moyen nouveau pour teindre en noir un mouton
– Maman, dit Arthur, âgé de six ans, voulez-vous me donner de la couleur noire ?
La maman
Certainement non ; tu vas faire des taches partout et tu saliras tes mains et tes habits.
Arthur
Oh non ! maman, je vous assure ; je ferai bien attention, je ne salirai rien du tout.
La maman
Pourquoi veux-tu avoir de la couleur noire ?
Arthur
Pour m’amuser, maman ; pour peindre.
La maman
On ne peint pas avec du noir, c’est très laid ; tu as une boîte de couleurs, des pinceaux, du papier, tu n’as pas besoin d’autre chose pour peindre.
Arthur
Mais, maman...
La maman,impatientée.
Laisse-moi lire, et va t’amuser avec ton frère. »
Arthur sort à pas lents ; il arrive dans la chambre à côté, ou l’attendait son frère Léonce.
Léonce(huit ans)
Eh bien ! as-tu du noir ?
Arthur
Je n’ai rien du tout ; maman n’a pas voulu m’en donner.
Léonce
Comment allons-nous faire ? Il nous en faut pourtant, et beaucoup.
Arthur
Si nous demandions à Sophie ?
Léonce
Sophie ne pourra pas nous donner de la couleur ; elle n’en a pas plus que nous.
Arthur
Non, mais elle a des idées ; elle inventera quelque chose.
Léonce
Je veux bien ; vas-y, toi ; je vous attendrai ici pour répondre à maman si elle demande ce que nous faisons. Va doucement ; ouvre les portes sans faire de bruit. »
Arthur sort sur la pointe des pieds ; il entre chez sa sœur Sophie, âgée de sept ans ; il la trouve occupée à laver sa poupée à grande eau ; l’eau coule partout ; ses manches et sa robe sont mouillées.
« Pst ! pst ! Sophie ?
Sophie,se retournant.
Quoi ? quoi ? Tu m’as fait peur : j’ai cru que c’était maman ou ma bonne.
Arthur
Chut !... Parle plus bas. Léonce te fait demander si tu as de la couleur noire.
Sophie
Non, je n’en ai pas. Pour quoi faire de la couleur noire ?
Arthur
Pour teindre notre gros mouton, qui est si blanc qu’il se salit toujours.
Sophie
Tiens, tiens, tiens ! c’est une bonne idée cela ; ce sera très amusant, et le mouton sera bien plus joli ; d’abord c’est très rare un mouton noir.
Arthur
Mais c’est que nous n’avons pas de couleur, malheureusement ; et je viens te demander comment faire pour avoir du noir.
Sophie,réfléchissant.
Comment faire ? Attends, que je pense un peu... J’ai une idée ! Prenons l’encrier et versons l’encre sur le mouton.
Arthur
Ce ne sera pas assez un encrier ; ce mouton est si grand !
Sophie
Eh bien ! nous prendrons la bouteille d’encre qui est dans le cabinet de maman.
Arthur
Bravo ! très bien ! Viens avec moi, mais tout doucement, pour que maman ne nous entende pas.
Arthur et Sophie vont dans le cabinet prendre la bouteille d’encre et arrivent sur la pointe des pieds près de Léonce, qui attendait avec impatience le résultat de la conférence.
Léonce
Eh bien ! avez-vous trouvé quelque chose ?
Arthur
Tiens ! une bouteille d’encre. C’est Sophie qui en a eu l’idée.
Léonce
Excellente idée ! Vite, commençons. Avec quoi allons-nous mettre l’encre sur le mouton ?
Sophie
En la versant tout doucement sur la tête, sur le dos, partout, il sera teint parfaitement, nous étalerons avec nos mains.
Léonce
C’est ça. Toi Arthur, et toi Sophie, vous étalerez l’encre, et moi je la verserai avec précaution. »
Léonce commence à verser ; il verse trop fort, l’encre coule sur le tapis. Sophie et Arthur en remplissent leurs mains, leurs habits ; il saute même des éclaboussures sur leurs visages. Léonce rit. Sophie se fâche et applique sa main pleine d’encre sur le visage de Léonce, qui se fâche à son tour et lance de l’encre au visage de Sophie ; Arthur veut arracher la bouteille des mains de Léonce ; en se débattant, Léonce jette de l’encre de tous côté